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ment choisit-on pour faire ce pas en arrière? Le moment où l’industrie languit, où elle se plaint, à tort ou à raison, d’avoir été sacrifiée par le traité de commerce, et de n’avoir pas la force suffisante pour lutter contre sa redoutable rivale, qui est l’Angleterre. Certainement il y a de l’exagération dans ces plaintes, beaucoup d’exagération; mais enfin le moment est critique, chacun en convient, et ce n’était pas celui qu’on devait choisir pour revenir sur les dégrèvemens qu’on avait opérés et pour diminuer les forces de notre industrie.

Maintenant, quand on examine dans le budget extraordinaire de 1863 quelques-uns des chapitres de dépenses pour lesquelles on demande ainsi au pays de revenir sur les dégrèvemens commandés par le traité de commerce et de s’imposer à nouveau de 112 millions, on trouve : l’Opéra pour 3 millions, le matériel de l’artillerie et du génie pour 9,800,000; le ministère de la marine pour 17 millions, la part contributive de l’état pour l’achèvement des grandes voies de communication dans Paris, etc., 8 millions, en tout 38 millions. Que ces dépenses soient utiles, je ne le conteste pas, et personne probablement n’y trouverait à redire, si elles devaient être couvertes par des excédans de recettes; mais l’utilité ne nous en paraît pas telle qu’on doive encore les proposer quand on ne peut les faire qu’avec des ressources extraordinaires et au moyen de surtaxes. C’est le cas de rappeler la pensée de Montesquieu : « Il ne faut pas prendre sur les besoins réels du peuple pour les besoins imaginaires de l’état. » Quand M. Fould, dans le-mémoire du 14 novembre 1861, est venu nous révéler l’état de nos finances, le pays n’a pas dû croire que le premier effet de la réforme à opérer serait d’augmenter les impôts de 112 millions, et qu’on chercherait à rétablir l’équilibre, non pas en diminuant les dépenses, mais en augmentant les recettes; il n’a pensé qu’aux économies, et il s’est dit que sur un budget de 2 milliards et plus, dont 380 millions pour la guerre et 168 pour la marine, on devait pouvoir faire des réductions assez sérieuses pour mettre le budget en équilibre sans nouveaux sacrifices. Le pays s’est donc attaché à l’idée d’économie, comme au mot d’ordre de la politique nouvelle, et toutes les manifestations de l’opinion publique en font foi.


VICTOR BONNET.