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de dix-huit mois. Depuis le dégrèvement de près de moitié qui a eu lieu sur le sucre au commencement de 1860, l’augmentation de la consommation, qui avait été de 21 pour 100 en trois ans avant le dégrèvement, soit de 7 pour 100 par an, s’est élevée tout à coup à 27 pour 100 sur une seule année, en 1861. Cependant, pour que des dégrèvemens de cette nature soient féconds, il faut qu’ils s’opèrent gratuitement, sans compensation ailleurs, qu’ils résultent d’un excédant naturel de recettes; autrement, s’il faut les remplacer par de nouveaux impôts ou par une aggravation des anciens, l’avantage du dégrèvement est illusoire, et il arrive le plus souvent que la charge nouvelle que l’on établit nuit plus à la prospérité générale que le dégrèvement ne lui profite.

L’impôt sur le café nous fournit encore un exemple qu’il est opportun de citer. Cet impôt, qui donnait en 1847 15 millions, a rapporté 26 millions en 1859, avant le dégrèvement. Partout les résultats ont été les mêmes, nulle part l’impôt n’a nui au développement de la consommation. Ne reculons pas devant les faits. Dans le prix du tabac, l’impôt joue un rôle assez considérable, plus considérable que dans aucun autre objet de consommation : il compte pour les quatre cinquièmes. Cependant l’impôt est tellement bien établi, tellement bien approprié à un objet qui peut le supporter, que, malgré des conditions assez onéreuses, il n’a cessé de produire davantage d’année en année. En 1859, avant la surcharge nouvelle dont il a été l’objet à la fin de 1860, le tabac donnait 178 millions contre 117 en 1867. En 1861, après l’augmentation de la taxe, il a rapporté 215 millions. On discute aussi beaucoup en ce moment l’impôt du sel. M. le ministre des finances a eu l’idée de reprendre une partie de ce qui avait été abandonné sur cet impôt en 1848, afin de se créer des ressources extraordinaires et de les appliquer à des travaux publics. C’est Là en économie politique une idée des plus contestables. Les travaux publics, lorsqu’ils sont productifs de richesse, profitent surtout aux générations futures, et on n’a pas le droit d’en imposer la charge exclusive à la génération présente. On comprend (et cela est juste, cela même a été mis en pratique en Angleterre tout récemment) que l’on fasse la guerre avec des impôts; la guerre en général est peu productive de richesse pour les générations à venir, c’est un fléau qui passe sur une génération, et qui doit être supporté par elle; mais il n’en est pas de même des travaux publics : il n’y a aucun inconvénient à charger le grand-livre pour des dépenses qui augmenteront la richesse publique, créeront des ressources supplémentaires, tandis qu’il y a injustice souveraine à imposer le présent au profit de l’avenir. Je n’en veux pas moins raisonner en dehors du point de vue contestable auquel s’est placé