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licitude au sujet du droit de mutation, c’est de lui faire produire le plus possible, et bien que ce droit soit déjà plus élevé que dans la plupart des autres pays, on lui fait porter encore tous les décimes de guerre qu’il plaît d’établir. En ce moment même, sous prétexte d’empêcher la fraude qui se commet dans les déclarations, M. le ministre des finances propose d’exercer un contrôle plus sévère, et il espère arriver ainsi à tirer de ce droit un meilleur produit. On ne peut certes pas trouver mauvais qu’on cherche à empêcher la fraude; mais si M. le ministre des finances voulait bien se rendre compte des motifs qui donnent lieu à cette fraude, il verrait qu’ils tiennent peut-être à l’élévation du droit, et que le nombre des transactions est en rapport avec la facilité qu’on a d’y échapper. Exercez demain un contrôle plus sévère, empêchez la fraude, vous aurez des déclarations plus sincères, vous toucherez le droit intégral sur toutes les mutations; mais si ces mutations sont moins nombreuses, l’impôt ne produira pas plus, et on aura gratuitement ajouté une nouvelle entrave à la liberté des transactions. Tel est le vice des mauvais impôts, qu’il faut laisser une porte assez large ouverte à la fraude, sous peine de leur voir produire les conséquences les plus fâcheuses.

Ce n’est pas tout, on a cru faire merveille en France en étendant ce droit, en l’appliquant, par exemple, à la transmission de certaines valeurs mobilières qu’il n’avait pas atteintes jusque-là. Depuis la loi du 23 juin 1857, les actions et obligations des entreprises industrielles sont soumises à un droit de transmission qui se paie par abonnement pour les valeurs au porteur et au moment de la transmission pour les valeurs nominatives. Nous ne voulons pas revenir sur les objections auxquelles a donné lieu cet impôt lorsqu’il a été question de l’établir; nos lecteurs se rappelleront l’excellent travail qui a été publié à ce sujet dans la Revue par M. le comte de Chasseloup-Laubat, aujourd’hui ministre de la marine; nous ne dirons qu’une chose maintenant, après quatre années d’expérience : c’est que cet impôt n’a pas donné les résultats qu’on en attendait[1]. Et pourquoi? D’abord parce que les valeurs anciennes qu’il atteignait se sont peu à peu immobilisées afin d’y échapper, ensuite parce qu’il a été une entrave à la formation de nouvelles entreprises par actions. Non-seulement il se perçoit lorsque les entreprises sont formées et en pleine exploitation, donnant plus ou moins de profits, mais il se perçoit à l’origine même de ces entreprises lorsqu’elles ne donnent encore aucun profit, et alors il agit comme un prélève-

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1857. — On faisait figurer cet impôt dans les prévisions budgétaires pour millions, avec des perspectives d’augmentation pour l’avenir. Il n’a donné que 6 millions ½ en 1860, et il ne figure encore au budget de 1863 que pour 6,000,000 francs.