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au-dessus de la boutique, où une douzaine de ses peintures se trouvent exposées dans des cadres d’or. C’étaient surtout des paysages, des couchers de soleil, des points de vue entre ciel et eau. Je fus heureusement trompé, car je m’attendais à trouver des barbouillages, et très certainement la manière de Ward n’est pas commune. On y sent les défauts et les qualités d’un homme heureusement doué qui s’est formé lui-même. Ce sont à la fois plus et moins que des chefs-d’œuvre, ce sont des tours de force. Ward possède encore un talent naturel pour la musique ; il a une fille, fort distinguée de sa personne, qui figure honorablement parmi les bonnes pianistes de Londres.

La vieillesse de l’athlète est généralement exempte d’infirmités. Il incline seulement avec l’âge à se montrer laudator temporis acti ; de son temps, les hommes étaient bien plus forts ! On a observé en Angleterre qu’il fréquentait rarement les églises : faut-il en conclure qu’il appartienne à la race d’Antée, l’ennemi des dieux ? L’athlète n’est l’ennemi de personne ; mais une religion qui prêche la douceur, l’humilité, l’oubli des injures, et qui recommande de présenter la joue gauche quand on a reçu un soufflet sur la joue droite, n’est pas trop de son goût. Peut-être aussi craint-il, en se présentant dans une assemblée religieuse, de détourner les esprits de la prière et des exercices moraux pour attirer l’attention sur la force matérielle dont il est la représentation vivante. Quoi qu’il en soit, il tient à reposer à la fin de sa vie dans une sépulture chrétienne. Dans un des cimetières de Londres, j’assistai, il n’y a pas très longtemps, à l’enterrement d’un pugiliste, et parmi les quelques paroles prononcées sur sa tombe, j’ai retenu celles-ci : « Il a combattu bravement le combat de la vie, he fought fairly the battle of live. Ce n’est d’ailleurs pas dans le cimetière, où ses amis lui érigent pourtant d’ordinaire un monument, qu’il faut chercher l’oraison funèbre du lutteur : c’est dans les journaux de sport où sa vie, sa carrière et ses exploits sont racontés avec emphase, comme si l’Angleterre venait de perdre en lui une des gloires nationales.

Tel qu’il est, le ring compte de zélés défenseurs au-delà du détroit : quelle mauvaise cause a jamais manqué d’avocats ? Je suis d’ailleurs prêt à reconnaître qu’il peut y avoir, comme disent nos voisins, deux côtés dans la question. Les Anglais répondent aux Français, qui s’indignent de ces défis à coups de poing : « Et vous, n’avez-vous pas le duel ? » Leur conviction est que la science du pugilat et le genre d’honneurs rendus aux hommes qui paient bravement de leur personne dans un combat singulier, où les membres nus luttent contre les membres nus, éloigne de la population britannique l’idée de recourir aux armes offensives. Cette théorie a trouvé