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est bien assise, comme elle n’entre que pour une part très faible dans le prix de l’objet qu’on se procure, on la sent très peu, on la sent d’autant moins qu’on est habitué à voir dans le prix des choses des oscillations qu’on ne s’explique pas toujours et qui sont beaucoup plus grandes que celles que l’impôt peut produire. D’ailleurs, et c’est là une considération capitale, on la paie quand on veut, à son heure et non à celle du fisc, comme la cote directe, qui vous arrive au nom du percepteur et que vous devez acquitter sous peine d’expropriation. Nous ne dirons pas, comme un écrivain anglais, que l’art du chancelier de l’échiquier consiste à lever le maximum d’argent en occasionnant le minimum de mécontentement, mais nous admettrons volontiers la deuxième partie de la proposition, et nous dirons qu’étant donnée une somme quelconque à se procurer par l’impôt, l’art d’un bon gouvernement est de se la procurer en produisant le minimum de mécontentement possible, dût-il avoir pour cela une perception un peu plus coûteuse. Ce léger supplément de dépenses n’est rien à côté des avantages qui résultent d’un effet moral meilleur. Tout s’enchaîne dans le monde, les effets moraux sont mêlés aux faits matériels, et par cela même que l’on produit moins de mécontentement, on a moins d’agitations: or avoir moins d’agitations, cela se traduit, en économie politique, par avoir plus de travail et plus de prospérité. Nous le demandons : qu’est-ce qu’une perception plus ou moins coûteuse à côté de pareils avantages? Si nous voulions chercher dans l’histoire, sous l’ancien régime, quels ont été les impôts les plus impopulaires, nous trouverions les impôts directs, et parmi ceux-ci la taille. Cette taxe, considérée en elle-même et pour le produit qu’elle donnait, n’était assurément pas très lourde; mais comme elle était répartie très inégalement, d’après des évaluations arbitraires, et qu’une certaine classe de la société en était exempte, elle a toujours excité les plus vives réclamations. Il en a été de même de l’impôt du sel, dit de la gabelle; cet impôt a été frappé de défaveur, non pas tant parce qu’il pesait sur un objet de consommation que parce qu’il était perçu par tête et directement : on était imposé non pas d’après la consommation de sel qu’on faisait, mais d’après celle qu’on était censé faire, qui vous était attribuée, qu’on la fît ou qu’on ne la fît pas.

Dira-t-on que la cause du mécontentement produit par ces taxes tenait surtout à une grande inégalité? Cela est possible, mais cette inégalité, c’est un peu le défaut de toutes les taxes directes; elles y échappent plus ou moins, mais je défie qu’on m’en cite une qui y échappe complètement. Dans la taxe foncière, l’inégalité est telle que certains départemens sont imposés à 9 pour 100 du revenu, tandis que d’autres ne le sont qu’à 3 pour 100. La taxe des portes et fenêtres, qui frappe le jour des maisons, sans tenir suffisamment