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l’income-tax allait d’abord jusqu’à 60 livres sterling de revenu ; mais il s’est trouvé, par une coïncidence singulière, qu’un grand nombre des revenus déclarés ne s’élevaient qu’à 50 livres 10 shillings : on l’abaissa alors à 50 livres sterling. Il est probable que les mêmes revenus ne s’élevèrent plus après qu’à 49 livres 10 shillings. Si encore la fraude n’existait qu’au préjudice du fisc et était commise dans les mêmes proportions pour tout le monde, il n’y aurait que demi-mal ; ce serait une façon de se décharger de ce que la taxe peut avoir de trop lourd et d’excessif. Et d’ailleurs le fisc, qui connaît la fraude, s’arrangerait en conséquence : il porterait la taxe à 10 deniers lorsqu’il voudrait la recueillir à 7, et il arriverait à n’y rien perdre. Ce qui est plus grave, ce qui nous paraît, quant à nous, une raison décisive pour condamner l’impôt sur le revenu, c’est que les fausses déclarations ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Tel déclarera la moitié de son revenu, tel autre le tiers, tel autre le quart seulement et souvent moins[1]. Si on veut arriver à la sincérité des déclarations par le contrôle, on tombe alors dans le plus grand des inconvéniens, celui de l’inquisition de la fortune privée. Cet inconvénient est tellement grave que partout on a senti le besoin d’y échapper, et qu’on a préféré faire reposer l’impôt sur les déclarations et s’exposer à la fraude plutôt que de chercher un produit plus élevé avec un contrôle plus sévère. Le seul contrôle que l’on exerce est celui où la notoriété publique elle-même sert de preuve. Malgré cela, cette taxe n’est bien acceptée nulle part : en Angleterre, elle n’a jamais figuré que comme un expédient pour faire face à des nécessités momentanées. Introduite d’abord par Pitt pour soutenir la guerre contre le premier empire, puis abandonnée en 1816, elle a été reprise en 1842 par Robert Peel, qui voulait faire passer sa réforme commerciale. Elle devait finir au moment de la guerre de Crimée, elle n’a continué que pour faire face aux besoins de cette guerre, et si elle existe encore aujourd’hui,

  1. Voici des faits qui ont été signalés dans une enquête qui a eu lieu en Angleterre à propos de l’income-tax. — Un individu qui avait gagné réellement 9, 000 livres en une année avait déclaré 3, 000 livres. — Une fabrique des plus honorables qui avait réalisé 31, 452 livres en cinq ans accusait 8, 800 livres. — Enfin une troisième personne qui gagnait 2, 000 livres consentait à être imposée pour 200 livres. Que résulte-t-il de ces déclarations si inégalement fausses ? Que ceux qui sont un peu plus sincères paient pour ceux qui le sont moins, que l’un paiera dans la proportion de 2 ou 3 centièmes de son revenu, tandis que l’autre ne paiera que dans celle de 2 ou 3 millièmes, et ici il n’y a pas de compensation possible ; celui qui aura payé davantage par une déclaration plus sincère n’aura pas plus qu’un autre les moyens de se dédommager par un dégrèvement proportionnel dans le prix des choses ; il subira une porte sèche pour prix de sa sincérité. Peut-on rencontrer un impôt plus immoral, plus capable de porter atteinte à la probité du commerce ? Aussi nous lisions dernièrement dans un recueil fort accrédité on Angleterre, the Quarterly Review, que les classes commerçantes avaient été particulièrement corrompues par cet impôt.