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leur chemin toutes seules, en dehors de l’appui du gouvernement, et souvent contre lui, il s’est formé une association qui ne tend à rien moins qu’à faire prévaloir un système tout à fait nouveau en matière d’impôt, en substituant l’impôt direct sur le revenu à l’impôt indirect. Cette association, qui a pour patrons ostensibles MM. Bright et Cobden, a, dit-on, pour partisan secret le chancelier de l’échiquier lui-même, M. Gladstone, et c’est ce qui lui donne une importance particulière. Tels sont depuis quelques années en Europe les précédens de la question qu’il importe aujourd’hui d’examiner au point de vue de notre pays.


I.

En général, quand on parle de l’impôt, on se préoccupe surtout de savoir s’il est équitable, c’est-à-dire s’il est proportionnel à la fortune qu’il doit atteindre; on ne se préoccupe pas au même degré de l’influence qu’il peut exercer sur la richesse publique. C’est cependant là le point essentiel, et le seul point véritablement pratique, car si l’on arrive à démontrer que les impôts, quelque forme qu’ils prennent, retombent toujours sur la consommation, laquelle est proportionnelle à la fortune, on aura mis hors de cause la question de justice et de proportionnalité, et il ne restera plus qu’à rechercher quel est l’impôt qui gêne le moins l’essor de la prospérité publique. Quand nous disons que l’impôt gêne l’essor de la prospérité publique, nous parlons, bien entendu, en thèse absolue; nous savons ce qu’il y a de productif dans les impôts dont il est fait bon emploi: appliqués à rémunérer les services légitimes, que l’état seul peut rendre, ils procurent la chose la plus utile au progrès de la richesse, à savoir l’ordre et la sécurité; mais l’emploi n’en est malheureusement pas toujours fait de cette manière, il a lieu souvent pour des services douteux, et nous disons qu’en pareil cas l’impôt est une entrave à la prospérité publique.

Il faut encore dans la question de l’impôt se préoccuper de l’effet moral qu’il est appelé à produire. Ce n’est pas une mince question pour la conduite des hommes que de se préoccuper de l’effet moral des mesures qu’on est appelé à prendre. Tout impôt est considéré comme un mal par celui qui le paie. Or, comme c’est un mal nécessaire qu’on ne peut pas éviter, l’habileté du législateur consiste à le faire sentir le moins possible. Elle diminue déjà les plaintes, ce qui est beaucoup, et si ensuite, par l’art avec lequel on le déguise, l’énergie humaine n’en est pas affectée, le mal est presque guéri, c’est comme s’il n’existait pas. Cette observation faite, voyons sur qui tombent en définitive les impôts.