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wick il avait une nièce en âge d’être mariée. Lord Malmesbury, qui fut chargé de l’aller chercher pour l’amener en Angleterre, a laissé sur cette mission de curieux récits. La cour de Brunswick y fait absolument l’effet d’une vue de Lilliput; tout ce qui constitue ailleurs l’appareil plus ou moins imposant de la représentation monarchique, ainsi contemplé par le petit bout de la lorgnette, provoque le mépris et force le rire, d’autant que ces nains et ces naines jouent leur rôle da plus grand sérieux, sans se permettre le plus petit retour sur leur grotesque inanité. Au milieu d’eux, une enfant blonde, aux grands yeux bleus, aux épaules « impertinentes, » bondit et se cabre sous la règle austère; c’est Caroline. Elle a soif de voir le monde, et d’échapper à cet entourage de marionnettes sérieuses, qui l’obsèdent de leurs vaines révérences, de leurs formules respectueuses et surannées. On frémit de la trouver si impatiente quand on sait ce qui l’attend. Le « premier gentilhomme d’Europe » cependant va au-devant de sa naïve fiancée, qui n’a ni maintien, ni beauté, ni coquetterie, et à qui Malmesbury, non sans quelque embarras, avait dû donner certains conseils qui ne sont pas ordinairement du ressort des diplomates. La pauvre enfant, sans y entendre malice, se prosterne devant son seigneur et maître, qui la relève gracieusement, l’embrasse, et, le cœur lui manquant alors,... demande un petit verre d’eau-de-vie[1].

Dans la lutte qui s’engagea plus tard entre ces deux époux si mal assortis, le peuple anglais prit hautement parti pour Caroline. Il se repentait d’avoir prodigué ses largesses et son indulgence à un freluquet de la pire espèce, à un misérable égoïste sans cervelle et sans cœur. Peut-être corrigeait-il une inconséquence par une autre, peut-être Caroline de Brunswick, persécutée avec acharnement, maltraitée à outrance, n’avait-elle pas tous les droits du monde à la généreuse protection dont elle se vit entourée; mais ses torts individuels n’infirmaient qu’à demi les droits méconnus en elle, et les vices de son mari lui enlevaient plus que les privilèges dont il voulait abuser. C’est ce que devina la conscience publique, plus rarement en défaut que ne le prétendent les beaux esprits, volontiers amoureux du paradoxe.

En face du «premier gentilhomme d’Europe, » — parallèle ingénieux, mais inutile et outré, selon nous, — M. Thackeray place successivement la probité antique de Walter Scott, le dévouement conjugal, le désintéressement de Robert Southey, la carrière apostolique de l’évêque Heber (l’apôtre des Indes) : «voilà, dit-il, voilà

  1. ….. Harris, I am not well : pray, get me a glass of brandy. Et Malmesbury répond : Sir, had you not better have a glass of water?