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tous, simplement vêtu, supportant, sans les aimer, les honneurs dus à son rang. Charlotte était plus reine que George n’était roi : elle avait ce sentiment de la grandeur d’apparat, si marqué chez Louis XVIII, et savait dans les grandes occasions s’immolera l’éclat de la couronne. Inflexible sur l’étiquette, elle exigeait des autres autant de patience qu’elle en montrait pour ce genre de supplice si bien décrit par l’ingénieux auteur d’Evelina, que l’on crut honorer et qui crut grandir quand on fit d’elle une des « femmes de chambre » de sa majesté. Interrogez, si vous voulez connaître l’intérieur de cette famille royale, interrogez les bavardes réminiscences de miss Burney, tout comme les correspondances de Selwyn, si votre curiosité s’étend aux mauvaises mœurs de l’aristocratie pendant les premières années de ce règne.

Les dernières furent assombries par la maladie mentale qui vint, peut-être fort à propos, paralyser l’action royale de George III sur les affaires de ses sujets. « Tout le monde, dit M. Thackeray, connaît l’histoire de cette maladie. Il n’y a guère dans les annales historiques du monde entier une figure plus triste que celle de ce vieillard, aveugle et fou, errant par les salles de son palais, adressant des harangues d’inauguration à des parlemens imaginaires, passant en revue des bataillons fantastiques, tenant des levers peuplés d’ombres. Dans l’appartement de sa fille, la landgravine de Hesse-Hombourg, — parmi des livres et des meubles apportés de Windsor, et cent autres souvenirs de la patrie absente, — j’ai vu le portrait de George III, pris à ce moment de sa vie. Le malheureux père est représenté en robe de pourpre; sa barbe blanche ruisselle sur sa poitrine; l’étoile de son fameux ordre y jette encore un vain éclat. Il n’avait pas seulement perdu la vue; une surdité complète le séparait encore du reste des hommes. Toute lumière, toute raison, tout accent de voix humaine, tous les plaisirs de ce monde tel que Dieu l’a fait, lui avaient été retirés à la fois... De temps en temps un éclair lucide, pendant l’un desquels la reine, entrant dans la pièce où il était, le trouva chantant un hymne religieux et s’accompagnant du clavecin. Quand il eut fini, le pauvre homme s’agenouilla, pria tout haut pour sa femme, pour leurs enfans, pour la nation tout entière, terminant par une prière pour lui-même, où il demandait à Dieu, s’il ne détournait de lui la misère infligée, de lui donner au moins la résignation et la patience. Il fondit alors en larmes,... et la raison de nouveau l’abandonna... »

Tous ces jeunes géans auxquels George III et Charlotte avaient donné le jour, et dont deux ont régné sur la Grande-Bretagne, — York et Clarence, Kent et Cumberland, Sussex et Cambridge, — ne supportaient qu’avec peine cette vie patriarcale et monotone à laquelle, près de leurs parens, il fallait s’astreindre. Les sévérités