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pour ce mari si disgracieux, si gauche, si peu lettré, si dénué de tout agrément personnel, et, par-dessus le marché, si peu fidèle. Elle l’aima pourtant, et du premier au dernier jour de leur union. Mère attentive et tendre, elle lui eût sans hésiter sacrifié ses enfans, tout comme elle se sacrifiait elle-même, lorsque, tourmentée par la goutte, elle plongeait ses pieds dans l’eau froide pour se mettre en état de l’accompagner à la promenade. À ce métier, elle finit par se tuer, et, « les yeux déjà troublés par l’agonie, crispée par d’intolérables souffrances, elle avait encore un pâle sourire et de douces paroles pour ce maître adoré. » On sait leur dernier entretien, comment elle le suppliait de se remarier, et comment il lui répondait, gémissant et bégayant : « Non, non, jamais !... J’aurai des maîtresses!... » Parole royale qui fut religieusement tenue et jusqu’au bout, plusieurs « sultanes » succédant tour à tour à cette reine, qui resta pour son inconsolable époux l’objet de regrets étranges et d’une vénération sans conséquence. Après avoir contemplé son portrait avec des yeux mouillés de larmes, le veuf inconsolable s’en allait « parler d’elle » avec les maîtresses en titre, et le soir même, déguisé en pacha turc, faisait dans quelque quadrille vis-à-vis à lady Yarmouth, transformée en odalisque. Cette odalisque trafiquait des bénéfices ecclésiastiques impudemment, à bureau ouvert, et le clergé la couvrait de bénédictions respectueuses. Un beau jour (25 octobre 1760), la vieillesse de George II, vieillesse avilie et de fâcheux exemple, fut soudainement close par un simple coup de sang. Le page qui apportait au roi son chocolat du matin le trouva étendu sur le parquet. On alla chercher la Walmoden; la Walmoden elle-même ne put rappeler la vie dans ce cadavre déjà refroidi. L’Angleterre apprit sans la moindre émotion qu’à ce soudard hanovrien, à ce grossier « marchand de saucisses, » qu’elle mésestimait et qui ne l’aimait guère, allait enfin succéder un prince né chez elle, parlant purement sa langue, timide et beau, jeune et de mœurs irréprochables.

Du fils de George II, de ce prince Frédéric de Galles qui fut le père de George III, l’histoire ne dit presque rien. C’est une figure perdue dans la foule malgré les tentatives d’opposition qui l’avaient brouillé avec son père. Sur son tombeau, nous ne trouvons en guise d’épitaphe qu’une épigramme satirique résumée dans les deux premiers vers :

Here lies Fred,
Who was alive, and is dead.

Sa veuve (Augustine de Saxe-Gotha), femme d’esprit grave et sévère, quand elle vit se fermer devant elle le chemin du trône, se réconcilia prudemment avec le vieux roi, puis elle se consacra