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le dit encore le romancier, le chevalier de Saint-George était loin d’avoir toutes les vertus, toute la dignité de son rôle, et quand le colonel Esmond (cet adhérent fictif d’une conspiration très réelle) va le trouver en Lorraine pour le décider à tenter les chances d’une restauration, il le trouve jouant au tennis avec miss Oglelhorpe, à côté d’un panier de ratafia, — ce qui ne laisse pas que d’atténuer le zèle jacobite du brave colonel.

Laissant de côté la part des circonstances, qu’on fait volontiers trop grande, il faut convenir que le bon sens politique dont le peuple anglais a donné tant de preuves n’éclata jamais mieux que dans cette crise décisive. Au prestige des souvenirs, à l’éclat du nom, à l’attrait de la jeunesse, aux impulsions de la générosité, nos voisins surent préférer les froids et sobres calculs de l’inflexible logique. Le prétendant hanovrien certes n’avait rien de séduisant : sa maussaderie silencieuse, son cortège d’Allemands affamés, ses laides et ridicules maîtresses, la Kielmansegge et la Schulenberg, Mélusine et Sophie (le Mât-de-Cocagne et l’Eléphant) dont la vulgarité n’en ressortit que mieux quand il les eut affublées chacune d’un titre sonore, ses esclaves nègres qu’il étalait comme les vivans trophées de ses guerres d’Orient, tout cela froissait et humiliait la nation qui l’appelait à régner sur elle; mais en somme que lui fallait-il, à cette nation? Des garanties sérieuses contre le catholicisme, une exécution sincère du programme whig, un roi bien à elle, bien étranger au passé, bien gardé contre les influences extérieures, soit du pape, soit de la France. Elle l’eut au prix de quelques déboire d’amour-propre. Et la complète déroute des tories après l’avènement de George Ier dut prouver au pays qu’il était en bonne voie de salut. Ils tentèrent follement le sort des armes, furent vaincus presque sans coup férir, et après qu’une vingtaine de têtes eurent roulé sur l’échafaud, après qu’un millier de rebelles eurent été, sur leur demande, transportés en Amérique, trente ans s’écoulèrent avant qu’ils osassent relever leur drapeau humilié.

A partir de 1715, George Ier est affermi sur son trône; mais il ne pouvait dire, lui, comme ce Bourbon : « Il n’y a qu’un Anglais de plus. » Ses sentimens ne sont pas d’un roi, mais d’un reître, et M. Thackeray lui prête à bon droit cette exclamation que, cent ans plus tard, contemplant Londres du haut du dôme de Saint-Paul, poussait en soupirant le farouche Blücher : Was für plündern (quel beau pillage)! Il exploitait donc sa position, emplissait ses coffres, et laissait sa meute négro-germanique se gorger après lui de cette ample curée. Rien d’élevé, rien de fier n’habitait cette âme grossière : en revanche, dans sa franchise brutale, dans son égoïsme cynique, rien de nuisible, rien de compromettant. Il n’est nullement hypocrite, ni vindicatif, ni insensé. On le raille sans qu’il s’irrite, on le flatte