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chesse. Avant de lui en donner une, on voulait savoir à qui on la marierait : sage précaution, sans laquelle la lignée hanovrienne eût été exclue du trône anglais, comme les descendances des deux frères de Sophie, l’électeur et le comte palatin (Charles-Louis et Édouard), tous deux rentrés fort mal à propos dans le giron de la papauté.

Le duc de Hanovre, mari de Sophie, prince jovial, mais économe, inventa ou du moins pratiqua largement une industrie aujourd’hui passée de mode. Pour subvenir à son train de maison, qui était magnifique, à ses dîners splendides, à ses fréquens voyages d’Italie, il avait mis ses troupes en coupe réglée, en coupe sombre, pourrait-on dire. Achetait qui voulait les braves lansquenets du Hanovre. La seigneurie de Venise un beau jour en prit du même coup six mille sept cents, qui allèrent sous les ordres du prince Max, fils d’Ernest, combattre le Turc en Morée. Il n’en revint, il est vrai, que quatorze cents, c’est-à-dire un sur cinq : mais l’opération n’en parut pas moins bonne pour ce déchet inévitable, et qui d’ailleurs se pouvait si aisément réparer. Les princes allemands se gardèrent bien de renoncer à ce commerce, où pour eux tout était profit, et George III prouva plus tard qu’il en connaissait les avantages, quand il acheta les dragons hessois pour les expédier en Amérique dès le début de la guerre de l’indépendance.

L’amour paternel tourmentait peu le marchand d’hommes dont nous parlions. Il eut sept enfans, — mauvais garçons pour la plupart, — dont trois allèrent se faire tuer en combattant contre les Turcs, les Tartares et les Français. Un quatrième conspira, se révolta, se sauva chez le pape, et laissa derrière lui un confident auquel on coupa lestement la tête. Quant à la jolie petite personne qui ne savait pas, à treize ans, si elle serait catholique ou protestante, elle épousa l’électeur de Brandebourg, ce qui tranchait la question en faveur du luthéranisme.

Le cinquième fils, dont il n’a pas encore été question, fut George Ier d’Angleterre. Avant d’en arriver là, il avait beaucoup guerroyé, pendant la vie de son père, à la tête du contingent hanovrien, dans les armées de l’empereur. Dur, froid, silencieux dès l’enfance, tel nous le peint la duchesse d’Orléans, qui, nièce de l’électrice Sophie, avait vu naître en 1660, à Osnabrück, ce petit prince allemand promis à de si hautes destinées. Pourtant, devenu électeur, il se fit aimer de ses sujets, et lui-même les aimait beaucoup : tendresse de berger qui tond ses brebis et les vend au boucher après les avoir soignées con amore. Si peu démonstratif en général, il pleura quand il quitta le Hanovre, et dès qu’il le put, il y revint, toujours joyeux d’y rentrer. Aucun enthousiasme pour la grande nation qui d’elle-même se plaçait sous ses lois. Des deux