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ses qualités ; on s’accorde à louer sa bienfaisance. Il existe parmi les confrères boxeurs un fonds de secours connu sous le nom de pugilistic benevolent association. Leur bienveillance est un peu celle du bouledogue qui se bat quelquefois pour la bonne cause. Il y a quelques années, au moment de la maladie des pommes de terre, les meilleurs pugilistes de la Grande-Bretagne proposèrent de donner au profit des pauvres Irlandais mourant de faim une représentation monstre dans laquelle « tout le monde ferait son devoir. »

Ce type si tranché est-il un produit de la nature ou de l’éducation ? De l’une et de l’autre, je crois. Il y a des hommes qui naissent athlètes : après avoir exercé quelque temps leurs bras à un autre métier, après avoir été maçons, comme Tom Sayers, ou forgerons, comme Heenan (le champion américain), ils s’aperçoivent un beau jour qu’ils se sont fourvoyés. C’est alors que leurs regards se tournent vers le ring ; après avoir essayé leurs forces dans des combats singuliers, ils déclarent au monde qu’ils ont enfin trouvé leur étoile. Il y en a d’autres qui, ayant plus ou moins de sang de lutteur dans les veines, courtisent la profession dès leur enfance. Dans ce dernier cas, l’aspirant entre volontiers en qualité de garçon (pot-boy) chez un vétéran du cercle qui tient un hôtel ou un cabaret, et qui aime à voir reverdir ses lauriers sur la tête d’un pupille. Là l’éducation du futur Hercule commence de bonne heure : je ne parle pas, on l’entend, de l’éducation classique, pour laquelle les vrais pugilistes témoignent en général un mépris souverain. Non, son cours d’instruction consiste à parler couramment l’argot, à brandir des dumb-bells, à courir un mille en cinq minutes, et surtout à souffrir les coups et les horions sans donner le moindre signe de douleur. C’est à lui de comprendre que la chair humaine a été faite pour être martelée par le poing. Un des principes de la science est que l’élève doit toujours se montrer de bonne humeur : dût le lutteur mourir à la peine, il doit mourir en riant. Ce rire est souvent, je l’avoue, un peu forcé et ressemble d’assez près à une grimace ; mais qu’importe ? l’intention y est. À mesure que l’apprenti avance en âge, il se détache en vigueur sur le fond pâle et monotone des autres adolescens. Ses cheveux coupés court et durs comme une brosse, son nez aplati et poli à la surface par les rudes caresses du gantelet, ses os et ses muscles fortement prononcés, ses mâchoires protubérantes, tout annonce déjà ce qu’il doit être un jour. Le novice se trouve encore cependant à peu près sur le même pied que les ouvriers qui, poussés par une vocation soudaine, abandonnent la truelle ou le marteau pour le gantelet ; seulement il possède sur eux, à forces égales, un avantage incontestable. Après avoir choisi un sobriquet, s’être créé des relations dans le monde pugilistique