Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux heures. C’est une scène que je n’oublierai jamais. Le prince de Metternich ne sent pas comme moi ce qu’il y a d’embarrassant et même d’affreux dans notre position. »

Afin de rendre plus embarrassante encore cette situation des représentans des quatre puissances, décidé à profiter de tous ses avantages et désireux de constater pour tout le monde ce qui venait de se passer, M. de Talleyrand adressa officiellement le 1er octobre à M. de Metternich et aux ministres des cinq autres puissances une note signée où les objections qu’il avait verbalement produites dans la conférence étaient de nouveau développées avec beaucoup de force et de talent. Une autre rencontre du ministre de Louis XVIII, non plus avec ses collègues du congrès, mais avec l’empereur de Russie lui-même, allait accuser encore plus fortement la ligne politique adoptée par la France.


« ….. Après avoir expédié cette note (celle du 1er octobre), je suis parti pour l’audience particulière que m’avait fait annoncer l’empereur Alexandre. M. de Nesselrode était venu me dire de sa part qu’il désirait de me voir seul, et lui-même me l’avait rappelé la veille à un bal de la cour où j’avais eu l’honneur de me trouver avec lui. En m’abordant, il m’a pris la main; mais son air n’était point affectueux comme à l’ordinaire, sa parole était brève, son maintien grave et peut-être un peu solennel. J’ai vu clairement que c’était un rôle qu’il allait jouer. — Avant tout, m’a-t-il dit, comment est la situation de votre pays? — Aussi bien que votre majesté a pu le désirer et meilleure qu’on n’aurait osé l’espérer. — L’esprit public? — Il s’améliore chaque jour. — Les idées libérales? — Il n’y en a nulle part plus qu’en France. — Mais la liberté de la presse? — Elle est établie à quelques restrictions près, commandées par les circonstances; elles cesseront dans deux ans et n’empêcheront pas que jusque-là tout ce qui est bon et tout ce qui est utile ne soit publié. — Et l’armée? — Elle est toute au roi. Cent trente mille hommes sont sous les drapeaux, et au premier appel trois cent mille pourront les joindre. — Les maréchaux? — Lesquels, sire? — Oudinot? — Il est dévoué au roi. — Soult? — Il a eu d’abord un peu d’humeur; on lui a donné le gouvernement de la Vendée, il s’y conduit à merveille; il s’y est fait aimer et considérer. — Et Ney?— Il regrette un peu ses dotations; votre majesté pourrait diminuer ses regrets. — Les deux chambres? Il me semble qu’il y a de l’opposition. — Comme partout où il y a des assemblées délibérantes. Les opinions peuvent différer, mais les affections sont unanimes, et dans la différence d’opinions, celle du gouvernement a toujours une grande majorité. Quand après vingt-cinq ans de révolutions le roi se trouve en quelques mois aussi bien établi que s’il n’avait jamais quitté la France, quelle preuve plus certaine peut-on avoir que tout marche vers un même but? — Votre position personnelle? — La confiance et la bonté du roi passent mes espérances. — A présent parlons de nos affaires, il faut que nous les finissions ici. — Cela dépond de votre majesté. Elles finiront promptement et heureusement, si votre majesté y porte la même noblesse et la même grandeur d’âme que dans celles de la France. — Mais il faut