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modeste : nous nous proposons seulement d’expliquer comment d’autres combinaisons prévalurent très naturellement dans l’esprit de Louis XVIII, et comment M. de Talleyrand, qui les approuvait, s’en fit tout aussi naturellement l’actif promoteur au congrès de Vienne. Quoiqu’il ne manquât ni de mérite, ni de connaissances, bien qu’il comprît son époque mieux qu’aucun des siens, Louis XVIII n’avait pas l’âme assez élevée pour se décider par des vues purement générales ; il tenait grand compte des intérêts et de la dignité de la France, qui, dans sa pensée, se confondaient aisément avec ses inclinations personnelles. Sa royale fierté avait été froissée par les façons de conseiller et de protecteur qu’Alexandre avait prises à Paris pendant les premiers jours de la restauration. Il ne lui pardonnait ni la protection éclatante qu’il avait accordée au sénat impérial, ni le patronage d’apparat dont il avait couvert les démarches du parti libéral. Par ménagement pour l’amour-propre du puissant empereur du Nord, il avait écouté plutôt qu’accepté l’idée mise en avant du mariage de son neveu, le duc de Berri, avec la sœur d’Alexandre. Au fond, la seule pensée de cette alliance entre la dynastie des Bourbons et celle des Romanov lui était extrêmement désagréable. Il n’avait donc pas de goût, il n’avait que de l’éloignement pour toutes les combinaisons diplomatiques qui pourraient lui rendre plus difficile, sinon de rompre brusquement, tout au moins de décliner doucement et sans trop de hâte une proposition déplaisante. Cette même tendance à subordonner, sans trop s’en douter, sa politique à des préoccupations de race et de famille n’influait pas moins sur la façon dont il considérait l’ensemble des affaires qui allaient être soumises au congrès. Rien ne lui tenait tant à cœur que la chute de Murat et la restauration des Bourbons de Naples. Il prenait un vif intérêt au sort du roi de Saxe, et n’acceptait pas qu’on pût songer à le dépouiller de ses états. Le chef de la maison de Bourbon, rentré en possession du trône de ses ancêtres, aurait, à ses yeux, manqué au premier de ses devoirs, s’il n’avait prêté le plus énergique appui à des souverains, ses parens, petits-fils comme lui du loi Louis XIV. Son père, le dauphin fils de Louis XV, ayant épousé une princesse de la maison de Saxe, il croyait se devoir à lui-même d’intervenir en faveur d’un prince malheureux qui avait l’avantage de lui tenir de près. Loin de nous la pensée qu’il n’y eût que de l’égoïsme dans cette manière de voir de Louis XVIII. Pour ce descendant d’une race habituée à se confondre involontairement depuis des siècles avec l’état, ce qui regardait le souverain touchait à l’honneur de la nation elle-même.

Personne ne connaissait mieux que M. de Talleyrand le caractère et les dispositions du roi Louis XVIII. Il n’ignorait pas qu’il avait petite part dans ses bonnes grâces, qu’il lui avait autant déplu que