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denberg et le baron Guillaume de Humboldt, sentaient bien ce qu’il y avait de gênant et d’odieux dans leur position. Comme il arrive souvent en pareil cas, pour faire illusion aux autres et à eux-mêmes, ils ne trouvèrent rien de mieux que de s’armer de morgue et de rudesse. L’arrogance des généraux prussiens, accourus en foule à Vienne, était surtout insupportable. A les entendre fatiguer les salons de Vienne du récit de leurs exploits durant la dernière guerre, on eût dit qu’ils avaient à eux seuls triomphé de Napoléon, et que jamais leurs alliés ne pourraient, par quelque concession que ce fût, s’acquitter complètement envers eux.

L’attitude de l’Autriche était infiniment plus calme. Cela tenait à la fois au caractère de son chef et aux habitudes diplomatiques du prince de Metternich. L’empereur François, beau-père de Napoléon, sentait parfaitement qu’il y avait convenance et dignité à résister pour son compte aux mouvemens de passion désordonnée qui jetaient alors dans une réaction extravagante la plupart des membres de l’ancienne coalition. Ayant l’honneur de recevoir dans sa capitale les plus grands souverains de l’Europe, il croyait remplir un devoir et leur donner un bon exemple en faisant preuve de modération, en laissant son principal ministre débattre sous son contrôle, mais avec une entière liberté, toutes les questions qui touchaient aux intérêts de la monarchie autrichienne. M. de Metternich justifiait cette confiance de son maître; nul n’était plus que lui capable de se tirer avec bonheur des complications infinies qu’allait inévitablement amener le heurt de tant de prétentions diverses et parfois contradictoires. Le premier, il eut le mérite de clairement entrevoir, à Paris même, au lendemain du triomphe, qu’il y aurait plus d’inconvéniens que d’avantages à vouloir s’expliquer entre soi trop à l’avance; depuis lors, dans toutes ses conversations avec les ministres étrangers, il s’était toujours tenu à dessein dans de vagues généralités. Pressé par eux de trop près, il n’avait jamais manqué de les ajourner au moment de l’ouverture du congrès de Vienne, en donnant à entendre qu’il trouverait alors moyen d’arranger toutes choses. C’était lui en effet qui, du jour où l’Autriche s’était mise en ligne contre la France, avait le plus contribué à mettre un peu d’unité dans les conseils de la coalition. Comme l’empereur Alexandre, mais avec plus de motifs que lui, il avait confiance dans l’efficacité de son influence personnelle. A force de ménagemens et surtout de patience, il ne désespérait pas de réussir même auprès des plus emportés, qui finiraient par accepter de guerre lasse quelques moyens termes auxquels avec raison il attachait moins d’importance qu’au fait même de l’accord si essentiel à maintenir entre tous les cabinets.

Le moment était venu d’y travailler, car la bonne intelligence n’eût pas duré longtemps, si, dès le début, chacun s’était mis à