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se trompait. Ce sentiment de susceptibilité nationale dont il redoutait presque l’explosion, et qui s’est en effet montré plus tard si vif et parfois si injuste à l’égard de la restauration, n’existait alors à aucun degré. L’affaissement de l’esprit public était devenu tel dans notre pays, qu’il ne prêtait aucune assistance, ni presque aucune attention aux efforts lentes par le gouvernement pour garder au moins quelques parties de nos récentes conquêtes. Ce fut au ministre qui la signa, aux personnages employés avec lui à la négocier, et surtout au chef et aux membres de la maison royale de France, que les rigoureuses conditions de la paix signée le 30 mai parurent causer le plus de regret. Parfois, rappelant en quelques paroles froides et amères les promesses faites quand l’empereur était encore debout et maintenant si complètement oubliées, M. de Talleyrand avait réussi, sinon à persuader ses contradicteurs trop prévenus, du moins à leur causer quelque honte et un certain embarras. Aux incroyables e agences pécuniaires mises en avant par les ministres du roi Guillaume de Prusse, on avait entendu Louis XVIII répondre avec indignation « qu’il aimait mieux dépenser 300 millions à faire la guerre à la Prusse que d’en dépenser 100 à la satisfaire. » Dans la même séance, le duc de Berri, saisi d’un emportement patriotique, s’était écrié qu’« il pourrait bien être dangereux de trop braver la France, qu’elle avait encore, grâce à Dieu, une belle et brave armée, qu’il fallait se mettre à sa tête pour se jeter sur les coalisés, et que, par cet acte de désespoir, sa famille serait à jamais rétablie dans le cœur de la nation. » La population parisienne, qui n’avait rien su de ces détails, qui ne s’en serait guère émue, si elle les avait connus, et dont à la cour on craignait bien à tort le mécontentement quand elle connaîtrait les clauses du traité de Paris, s’en montra au contraire satisfaite; elle les trouva non-seulement équitables, mais généreuses. Dans la capitale comme dans le reste de la France, la hâte de jouir des bienfaits de la paix l’emportait de beaucoup sur le désir de voir reculer quelque peu nos frontières. Avec cette mobilité d’impressions, don fatal qui l’a successivement emportée aux extrémités les plus contraires, la France, toujours si avide de gloire militaire, si sensible sous la république au plaisir de braver toutes les armées du continent, si empressée sous l’empire à prodiguer son sang pour des conquêtes lointaines, mettait maintenant une certaine indifférence orgueilleuse dans l’abandon facile de ses droits les plus évidens. Afin de regagner les bonnes grâces des peuples étrangers, rien ne lui paraissait coûteux. On eût dit qu’elle trouvait de meilleur goût de ne pas trop leur marchander les conditions de sa bienvenue.

Les politiques seuls restaient inquiets. Témoins des événemens du jour, aux prises avec les difficultés de l’heure présente, éclairés