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maison mauresque, sur cette tête maintenant noyée dans l’atmosphère des voluptés impures. L’apparition de Dorothée était encore pour lui une nouvelle ironie du sort. Il revoyait le pauvre Herwig étendu sans vie sur le cuir sanglant du cacolet. Celle qu’il avait sous les yeux était unie cependant, pensait-il, par les liens les plus étroits de la chair à ce glorieux cadavre qu’il avait vu s’avancer dans une lumière matinale. Que signifiait donc tout ce bizarre et cruel enchaînement d’êtres et de choses en désaccord? Sa conscience répondait, par des raisonnemens précis et rapides, aux divagations de son esprit. Un seul principe, lui disait-elle, fait éclore mille autres germes de désordre dans le monde. Qui sait ce qu’aurait été Dorothée, s’il ne l’avait pas rencontrée sur sa route ou s’il avait pu lui faire l’hommage d’un loyal amour? Décidément, dans cette nuit maudite, toutes les fautes de sa vie venaient l’assaillir sous des formes effrayantes pour son esprit, malgré le charme qu’elles pouvaient offrir à ses yeux. Ces deux femmes lui inspiraient autant de terreur que ces corps inanimés de soldats qu’il avait vus glisser sur les eaux d’une rivière sépulcrale : elles aussi appartenaient pour lui au monde des morts. Possédé d’une fièvre qu’il espérait calmer par l’air du dehors, il résolut de s’arracher à un lieu où il regrettait amèrement d’avoir pénétré. Ses pas furent arrêtés par un quadrille qui lui barrait la porte de sortie. Au milieu de cette danse, il aperçut, enlacée à un de ces masques pétulans que nous avons essayé de décrire, une femme dont l’aspect amena une suprême commotion dans sa cervelle. Il reconnut dans une Mauresque livrée à toutes les inspirations orientales d’une danse d’aimée le dernier hochet dont s’était amusé son cœur, Fatma-Zohra.

La jeune Arabe était venue continuer ses aventures dans la civilisation algérienne. Elle avait moins perdu que Dorothée à sa nouvelle condition. Les femmes de sa race, du jour où leur beauté est épanouie, ne sont que des instrumens de plaisir. Laërte pourtant la trouva changée. Il avait voulu faire de cette créature, qui lui était apparue au désert dans les magnificences d’un orage, une sorte de Béatrix sensuelle, de Laure musulmane, — en un mot un de ces êtres adorés et charmans que nous plaçons au sommet de nos rêves. Le lieu où il retrouvait Fatma-Zohra, cette danse audacieuse surtout à laquelle elle s’abandonnait, mettaient en désarroi tout un groupe de ses pensées les plus délicates et les plus chères. La gracieuse Arabe avait adopté le costume provoquant des Mauresques. Une légère calotte en fil d’or était inclinée sur sa chevelure, qui tombait sur ses épaules en longues tresses. Elle portait une veste à dessins éclatans, d’un brocart devant lequel se fût agenouillé Paul Véronèse. Ses jambes fines sortaient des plis d’un large pantalon