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LES CAPRICES
D’UN RÉGULIER


XIII.[1]

La société arabe, en dépit des espaces immenses qu’elle occupe par fractions dispersées et souvent hostiles, n’est cependant pas dépourvue de liens qui lui donnent tout à coup, dans de graves circonstances, une singulière unité. Ainsi, malgré son ignorance de ce merveilleux organisme créé par la civilisation moderne pour la circulation de la pensée, elle fait voyager avec une célérité incroyable toutes les nouvelles qui l’intéressent, et réunit par mille agens secrets les chefs divers qui la conduisent. Tel marchand de dattes que vous rencontrez accroupi sur le dos d’un chameau, tenant une longue et mince pipe entre ses lèvres, tel cavalier de pacifique apparence qui passe sur une chétive jument, tel pâtre au burnous déguenillé et au regard vaguement distrait comme celui de ses brebis, sont initiés à de redoutables mystères qui échappent aux recherches des chrétiens. Ces êtres obscurs et muets cachent entre leurs mains les fils d’un vaste complot; ils savent où se trouve un chérif prêt à lever l’étendard du prophète, à quelle heure et en quel lieu une insurrection doit éclater.

Laërte possédait au suprême degré le don des langues. Un séjour de quelques mois en Afrique l’avait mis en état d’être compris et de se faire comprendre des Arabes. Il trouva dans le premier gourbi où il s’arrêta ce qu’il avait le malheur de chercher. On lui fit connaître l’endroit où était Abd-el-Kader et les moyens de rejoindre

  1. Voyez la Revue du 15 avril et du 1er mai.