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sont issus de la même race et nourris de la même civilisation. Écoutez les premiers opéras de Boïeldieu; vous y reconnaîtrez une Influence sensible de la grâce de Cimarosa et des maîtres italiens de la même époque, tandis que dans la Dame Blanche on sent le souffle rossinien traverser ce délicieux chef-d’œuvre. M. Auber, l’auteur de la Muette du Domino Noir, de Fra Diavolo, du Maçon, avec quelle dextérité ingénieuse il sait allier l’esprit français au brio de Rossini, dont il admire le génie avec une sincérité digne de son beau talent! Halévy est, après Méhul, le compositeur français d’opéras-comiques qui vient d’un autre côté de l’horizon, et dont le style composite ne reflète pas la poésie et l’entrain de la race latine; mais Hérold, le seul compositeur de génie qu’ait produit la France depuis cinquante ans, allie sur sa palette de coloriste, dans ses deux derniers chefs-d’œuvre surtout, Zampa et le Pré aux Clercs, la sentimentalité idéale de Weber à la fluidité lumineuse de l’auteur du Barbier de Séville et du Comte Ory. Quelles œuvres diverses et charmantes sont sorties de la combinaison de ces deux élémens, l’esprit français et le génie italien, et que la nature est féconde en ses métamorphoses!

Pour en revenir à Giralda, que le public a revue avec plaisir, combien l’exécution d’aujourd’hui est loin de ce qu’elle était en 1850, alors que Mlle Miolan essayait son beau talent dans le rôle principal! C’est Mlle Marimon qui la remplace, et Mlle Marimon, qui a une petite voix parisienne étriquée et dépourvue de charme, n’a pas les qualités de grâce et de facilité élégante qu’il faudrait pour rendre les effets de cette musique brillante où se montre un rayon de sentiment et d’émotion vraie. MM. Warot, le ténor, et Crosti, le baryton, sont des artistes de talent qui suffisent à peine aux rôles qu’ils remplissent avec effort. Dans la pénurie où nous sommes de compositeurs originaux et de chanteurs éminens, M. le directeur de l’Opéra-Comique est poussé par la nécessité et par son propre goût vers l’ancien répertoire; rien de mieux à notre avis. Avec un nouvel opéra en deux actes de M. Félicien David, on nous donnera, assure-t-on, Rose et Colas de Monsigny, un petit acte d’une simplicité agreste. Et le Roi et le Fermier du même maître, quel joli et touchant petit chef-d’œuvre ce serait à reproduire devant le public blasé de notre époque!

Le Théâtre-Italien, nous l’avons dit, a fermé ses portes moins bruyamment qu’il ne les avait ouvertes au commencement de la saison, dans le mois d’octobre. La direction, toujours prodigue de promesses fallacieuses qui allèchent les amateurs, n’a rien produit en dehors des ouvrages connus qui composent son répertoire depuis vingt ans. Trois ou quatre représentations du Matrimonio segreto de Cimarosa, de Don Giovanni de Mozart, d’Otello de Rossini, la reprise de Don Pasquale de Donizetti avec un personnel de chanteurs médiocres et insuffisans, il Barbiere di Siviglia mutilé par M. Mario, la Lucia, la Norma et les opéras de M. Verdi, il Trovatore, Rigoletto et un Ballo in maschera, voilà les ouvrages qui se sont succédé sur l’affiche, et qui ont défrayé pendant six mois la curiosité du public. On avait promis Cosi fan tutte de Mozart, mais on a sans doute reculé devant ce chef-d’œuvre, qui exige trois cantatrices et trois chanteurs capables d’interpréter une musique facile, suave et élégante, qui n’est plus