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que là aussi les gros capitaux donnent seuls la force et la victoire, un petit étal de trois millions d’âmes ne peut que sentir profondément son infériorité en face de l’Allemagne. Grâce à une étonnante prospérité intérieure, qui prouve beaucoup en faveur de sa cause, ses finances depuis longtemps sont en excellent état malgré tant de motifs de désordre; mais elles n’égalent pas enfin celles de la Prusse et du Zollverein, et les frégates cuirassées coûtent des sommes considérables. Le gouvernement danois en a commandé, dit-on, deux en Angleterre; on comprend néanmoins que, si la guerre doit lui venir du côté de l’Allemagne, il désire la voir éclater promptement, afin de profiter encore de ses anciennes forces.

A vrai dire toutefois, on ne désire jamais la lutte. Le Danemark ne peut prévoir aujourd’hui où la guerre le conduirait, et autour de lui les états ses voisins de même race en craindraient fort la contagion ou le contre-coup. Une visite des étudians de Suède et de Norvège à ceux de Danemark est proposée pour l’été prochain; d’autre part, on annonce une visite du jeune roi de Suède au roi de Danemark Frédéric. Sa majesté suédoise a déjà montré du reste qu’elle était douée d’une rare activité : en mai 1861, elle était en Norvège, en août en France, puis en Angleterre, en décembre à Christiania pour la seconde fois dans l’année. Charles XV na peut-être pas traversé la mer onze fois comme Charles-Quint, mais cela viendra; si son voyage en Danemark, vaguement annoncé dès à présent, doit s’accomplir, il y aura lieu de chercher s’il peut réellement intéresser le scandinavisme. Plus d’une tentative a déjà été faite entre les deux cours pour une union tout au moins défensive; le prudent roi Oscar avait jadis ouvert à ce sujet une correspondance privée avec le roi Frédéric VII; mais il y posait une condition : prêt à intervenir par les armes pour le Slesvig si les Allemands le menaçaient, il ne promettait qu’une intervention morale pour ce qui regardait le Holstein. Plus tard, il y a deux ans, il paraît certain que M. Hall, déjà chef du cabinet danois, conféra secrètement sur ce même sujet avec le roi Charles XV. Le souverain de la Suède aggravait cette fois la condition posée par son père; il entendait ne traiter qu’avec un Danemark jusqu’à l’Eyder (Danemark et Slesvig), et ne voulait se mêler aucunement du duché allemand de Holstein; il donnait indirectement le conseil au cabinet danois de se défaire à tout prix du Helstat[1] , — et c’est le conseil de la raison. On ne peut se dissimuler qu’un traité formel conclu dès maintenant entre la Suède et la Norvège d’une part, le Danemark de l’autre, ne dût être pour ce dernier état d’une extrême importance. A coup sûr, même sans traité stipulé à l’avance, les deux royaumes de la grande péninsule Scandinave ne laisseront pas les Allemands envahir le nord de l’Eyder, on peut y compter; mais une résistance organisée véritablement en commun détournerait sans doute la première attaque, et pourrait même prévenir le malheur de la guerre,

  1. Le pacte d’union de toutes les parties de la monarchie.