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De son côté, le gouvernement de Victoria n’était point demeuré inactif ; il avait acheté un vaste terrain sur lequel quarante clubs de cricketers pratiquaient continuellement. Au moment où se répandit la nouvelle de la prochaine visite des onze joueurs anglais, la colonie était plongée dans la consternation par suite du malheureux sort que venait de rencontrer au milieu du désert la dernière expédition chargée d’explorer le centre de l’Australie. De semaine en semaine, l’attention publique se détourna du désastre pour se porter sur le défi international. On leva partout des souscriptions pour mettre à même les meilleurs joueurs répandus dans les différens districts de se rendre à Melbourne. Cependant la ville elle-même avait pris un air de fête ; à peine eurent-ils mis le pied sur le sol de la colonie que les onze cricketers venus d’Angleterre furent entourés d’honneurs. Jamais hommes d’état ne reçurent une pareille ovation. Leurs noms et leurs exploits étaient aussi bien connus aux antipodes qu’ils peuvent l’être dans la Grande-Bretagne. On admirait en eux la supériorité musculaire des races chrétiennes. La religion du Christ et la force n’ont guère de rapports ensemble ; mais à la place de christianisme écrivez civilisation, et la pensée deviendra juste. Un immense cricket ground avait été entretenu frais et vert au moyen d’un système d’irrigation jusque dans les jours les plus chauds de l’année, qui, sur cette terre des paradoxes, se lèvent en décembre et en janvier. Le tapis de gazon était entouré de galeries disposées en amphithéâtre et destinées à recevoir cinq ou six mille personnes ; il en vint plus de dix-sept mille qui payèrent une couronne d’entrée et la moitié d’entre eux une demi-couronne en sus pour trouver place sur l’estrade. L’un des onze, M. Stephenson. à son arrivée dans la colonie, avait répondu aux discours par lesquels on saluait sa bienvenue et celle de ses confrères que pour reconnaître la généreuse et enthousiaste hospitalité des colons, il espérait bien leur donner une bonne volée (good licking). Comme il est aisé de le prévoir, les joueurs anglais sortirent en effet victorieux de tous les défis qui s’engagèrent entre eux et les joueurs australiens au milieu d’un concours inoui de spectateurs, surtout de femmes. Ce voyage aura été une bonne affaire pour tout le monde ; les entrepreneurs de cette tentative hardie n’auront point risqué en vain leurs capitaux, et les colons auront eu le plaisir de revoir en quelque sorte les traits de la mère-patrie représentés par un de ses exercices les plus aimés. D’un autre côté, les onze n’auront point perdu leur temps ; ils devaient quitter Melbourne au mois de mars et revenir en Angleterre pour la seconde semaine de mai, juste à l’ouverture de la campagne (cricketing campaign). Entre deux étés, ils auront combattu pour l’honneur de la vieille Angleterre, répandu les principes d’un art qu’ils considèrent comme intimement lié à la nationalité britannique, et