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à peine se laisse-t-elle distraire de son sommeil par les spectacles que certains incidens lui imposent. Parmi les spectacles de ce genre qui ont récemment procuré quelques émotions au public, il faut sans contredit placer en première ligne le dénoûment imprévu d’un grand procès financier qui durait depuis quatorze mois. Nous ne savons en vérité s’il nous serait permis maintenant d’essayer une appréciation de ce procès, qui demeurera comme un chapitre curieux des mœurs contemporaines. L’homme énergique et habile qui était en cause dans ces débats judiciaires est sorti victorieux de la lutte qu’il a soutenue avec tant de résolution. La presse n’a point à se plaindre des arrêts qui proclament innocens ceux dans lesquels la poursuite publique cherchait des coupables. Cette réserve faite, à combien de commentaires curieux ne prêterait pas le procès auquel nous faisons allusion, pour peu que l’on se sentît d’entrain à juger sur le vif certains caractères de la société contemporaine? Avant tout, cet acquittement, arrivant après une détention de quatorze mois, ne fait-il point ressortir la dureté du système de la détention préventive en France? Les vicissitudes et le dénoûment du procès n’apportent-ils pas de précieux enseignemens à la presse?

On se souvient qu’au moment où éclata l’affaire dont le dernier mot vient d’être dit à Douai, un grand magistrat, qui est aussi un éloquent orateur, prononça au sénat un discours sur l’événement du jour. Ce magistrat dont nous parlons est M. Dupin. L’illustre vétéran, dans la chaleur de sa première indignation, adressa aux infortunés journaux une poignante mercuriale. C’étaient eux qui avaient causé tout le mal. Ils avaient manqué à leur rôle de sentinelles vigilantes; ils n’avaient pas dénoncé au public les manœuvres périlleuses dont l’on voyait maintenant les résultats dans tant de ruines et de scandales. Nous nous permîmes à cette occasion de prendre la défense de la presse contre les véhémentes censures de M. Dupin. Nous fîmes remarquer que, tant que la presse ne jouissait point de la liberté politique, il lui était impossible de remplir le rôle auquel on la provoquait. Après l’arrêt que vient de rendre la cour de Douai, nous oserons demander à M. Dupin si les journaux eussent pu avec une sécurité véritable s’acquitter de cette fonction de sentinelles vigilantes que l’illustre procureur-général rêvait pour eux. Sous un régime de liberté réelle, les journaux, nous l’avouons, eussent eu assez de force pour obtenir des éclaircissemens sur certains points du procès. Quand on se souvient que ce fut l’action d’un journal qui conduisit la justice à la découverte des preuves de la triste prévarication d’un ancien ministre avant 1848, on a une idée de la mission et de la puissance d’une presse libre; mais le temps dont nous parlons, était un temps de corruption où la mauvaise presse pouvait satisfaire son amour du désordre et sa haine des supériorités sociales ! Notre époque n’est-elle pas plus vertueuse, plus discrète? N’est-il pas plus conforme aux bonnes mœurs d’étouffer que d’étaler le scandale? Décidément M. Dupin