Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
THEATRE CONTEMPORAIN

Il y a un mot affligeant, que l’on ne saurait appliquer à l’art contemporain sans soulever des récriminations et des colères : c’est le mot de décadence. Si ce mot n’est pas toujours injuste, il est au moins pessimiste, et le pessimisme, on le sait, sied mal à la critique : il est difficile de persuader ceux que l’on humilie, de convertir ceux que l’on offense, et dire aux gens qu’ils ne savent plus rien faire de bon, c’est un mauvais moyen de les engager à mieux faire. Enfin les argumens en pareil cas ne manquent pas aux contradicteurs, et, pour nous en tenir au théâtre, quelques-uns de ces argumens ne sont pas sans valeur. On peut, sans se dissimuler les misères présentes, affirmer que, dans cet espace de près d’un demi-siècle qui va du Mariage de Figaro au grand mouvement romantique, la moyenne des pièces jouées a été de qualité inférieure à la moyenne d’aujourd’hui.

Mieux que le mot de décadence, le mot décomposition n’exprimerait-il pas l’état actuel de notre théâtre ? Ce n’est point, si l’on veut, un art qui tombe ; c’est plutôt un art qui se décompose, qui se transformera sans doute, qui subit en attendant, lui aussi, les conditions de la société elle-même, où les plaisirs de l’esprit, comme d’autres biens plus sérieux, cessant d’être un privilège, perdent en délicatesse ce qu’ils gagnent en profusion, et se vulgarisent en se multipliant. Les élémens dont cet art se formait autrefois, et dont l’ensemble s’appelait la littérature dramatique, ne font plus corps ; ils tendent de plus en plus à se dissoudre, à se déplacer, à quitter le centre pour les extrémités, à s’éparpiller sur une foule de points où personne jadis n’allait les chercher. On avait d’une part la tragédie et à des distances infinies le mélodrame naïf de nos pères, de l’autre la comédie, et à bien des étages au-dessous le vaudeville grivois et sans façon. Ces