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ainsi que le ferait notre système d’amortissement rigoureusement observé. L’amortissement a toutefois un double but : contenir la dette publique, la réduire même, si faire se peut; soutenir le crédit par le rachat incessant des titres de rentes lorsque les cours tendent à se déprécier. Les partisans du système anglais allèguent que ce système fonctionne mieux dans l’intérêt des contribuables; les défenseurs du système français le trouvent plus conforme aux engagemens pris par les lois qui ont constitué chez nous l’amortissement et plus favorable aux créanciers de l’état dans un pays où les fluctuations de la Bourse sont plus fréquentes et plus marquées. « Ce qui importe aux rentiers, disent-ils, c’est bien moins la sécurité qui peut résulter pour eux de la diminution de la dette de l’état que la valeur négociable de leur créance. Les détenteurs de rentes françaises ne craignent pas la banqueroute, mais il ne leur est pas indifférent de pouvoir à toute heure réaliser leur titre avec bénéfice ou du moins sans perte. » Avec le développement du crédit public, qui suffit à assurer la facile négociation des titres, le système anglais offre assez d’avantages pour n’être pas légèrement condamné; mais un pareil sujet ne peut être traité incidemment. La comparaison des deux dettes ne peut non plus se faire en quelques mots; il suffit en ce moment de donner le résultat.

La dette anglaise, d’origine bien plus ancienne que la nôtre, ne doit cependant son développement excessif qu’aux guerres de la révolution française et de l’empire. Cette dette, vers 1790, ne montait guère qu’à 240 millions de rentes. Les efforts gigantesques faits par l’Angleterre pour conserver la suprématie des mers, les subsides qu’elle prodigua à ses alliés élevèrent en vingt ans la dette publique à la somme colossale de plus de 21 milliards en capital, de plus de 800 millions en intérêts. A la même époque, c’est-à-dire à la chute de l’empire, la France, qui avait largement fait payer aux vaincus le prix de ses victoires, ne voyait figurer au grand-livre que 63 millions de rentes. Il est impossible de mettre au compte de la monarchie les emprunts qu’il fallut contracter pour payer la rançon de la France envahie. Cent millions des rentes de la dette publique n’ont pas d’autre origine. Si donc au 31 juillet 1830 le total des rentes s’élevait à 202 millions (dont 37 millions appartenaient à la caisse d’amortissement, la dette active[1] ne dépassant pas 165 millions), on peut dire que la restauration ne laissait de ce chef aucune charge qui lui fut propre, les réductions opérées au moyen de l’amortissement et des conversions ayant suffi

  1. Les rentes actives, c’est-à-dire dus à des tiers, constituent seules la véritable dette. Les rentes appartenant à la caisse d’amortissement ne sont ou ne devraient être qu’un instrument de libération.