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serait changé entre nous, et je lui jurai de demeurer fidèle à des sentimens mal exprimés, c’était possible, mais trop évidens pour qu’elle en doutât. Pour la première fois peut-être j’eus du sang-froid, de l’audace, et je réussis à mentir impudemment. Les mots d’ailleurs se prêtaient à tant de sens, les idées à tant d’équivoques, qu’en toute autre circonstance les mêmes protestations auraient pu signifier beaucoup plus. Elle les prit dans le sens le plus simple, et m’en remercia si chaudement qu’elle faillit m’ôter tout courage.

— À la bonne heure. J’aime à vous entendre parler ainsi. Répétez encore ce que vous avez dit, pour que j’emporte de vous ces bonnes paroles qui consolent de vos ennuyeux silences et réparent bien des oublis qui blessent sans que vous le sachiez.

Elle parlait vite, avec une effusion de gestes et de paroles, une ardeur de physionomie qui rendait notre entretien des plus dangereux.

— Ainsi voilà qui est convenu, continua-t-elle. Notre bonne et vieille amitié n’a plus rien à craindre. Vous en répondez pour ce qui vous regarde. C’est tout ce que je voulais savoir. Il faut qu’elle nous suive et qu’elle ne se perde pas dans ce grand Paris, qui, dit-on, disperse tant de bons sentimens et rend oublieux les cœurs les plus droits. Vous savez que M. de Nièvres a l’intention de s’y fixer, au moins pendant les mois d’hiver. Olivier et vous, vous y serez à la fin de l’année. J’emmène avec moi mon père et Julie. J’y marierai ma sœur. Oh ! j’ai pour elle toute sorte d’ambitions, les mêmes à peu près que pour vous, dit-elle en rougissant imperceptiblement. Personne ne connaît Julie. C’est encore un caractère fermé, celui-là : mais moi, je la connais. Et maintenant je vous ai dit, je crois, tout ce que j’avais à vous dire, excepté sur un dernier point que je vous recommande. Veillez sur Olivier. Il a le meilleur cœur du monde ; qu’il en soit économe, et qu’il le réserve pour les grands momens. — Et ceci est mon testament de jeune fille, ajouta-t-elle assez haut pour que M. de Nièvres l’entendît. — Et elle l’invita à se rapprocher.

Très peu de jours après, le mariage eut lieu. C’était vers la fin de l’hiver, par une gelée rigoureuse. Le souvenir d’une réelle douleur physique se mêle encore aujourd’hui, comme une souffrance ridicule, au sentiment confus de mon chagrin. Je donnais le bras à Julie, et c’est moi qui la conduisis à travers la longue église encombrée de curieux, suivant l’usage importun des provinces. Elle était pâle comme une morte, tremblante de froid et d’émotion. Au moment où fut prononcé le oui irrévocable qui décidait du sort de Madeleine et du mien, un soupir étouffé me tira de la stupeur imbécile où j’étais plongé. C’était Julie qui se cachait le visage dans