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moi, et je la regrette de tout mon cœur ; mais, au nom du ciel, n’aurait-elle pu attendre que la partie fût terminée ? » Durant les beaux jours d’été, on rencontre le plus souvent à Lord’s Cricket une société choisie à laquelle se mêlent volontiers les femmes du monde. Ces dernières portent quelquefois sur les incidens de la lutte des jugemens fort habiles ; mais on les accuse pourtant de prêter en général plus d’attention à la grâce et à l’élégance des mouvemens qu’à la science réelle des joueurs. Le terrain est loué pour une après-midi aux différentes bandes de cricketers moyennant la somme d’une guinée, qui, divisée entre vingt-deux personnes, ne constitue pas, comme on voit, une bien lourde dépense. Il est vrai que la plupart des parties de cricket sont suivies d’un banquet destiné à fêter les vainqueurs et à consoler les vaincus.

L’origine d’un jeu si national a beaucoup occupé les érudits d’Oxford et de Cambridge, — deux universités qui se piquent de tenir un rang honorable sur le champ du cricket. Il résulte de recherches fort laborieuses que ce jeu est ancien, et remonte pour le moins au XIIIe siècle : seulement il ne portait point alors le même nom. Celui sous lequel il est maintenant connu vient du mot saxon criag ou cricce, qui veut dire un bâton recourbé par le bout ; or telle était sans doute la forme primitive de la crosse (bat) dont on se servait autrefois pour chasser la balle. Il paraît d’ailleurs que ce jeu se traîna longtemps dans les régions obscures de la société. On ne le considérait point comme un amusement digne d’un gentleman. et c’est probablement à cette dernière circonstance qu’il faut attribuer le silence gardé à ce sujet par l’ancienne littérature anglaise. Vers le dernier siècle, des hommes honorables se chargèrent de le tirer de la mauvaise compagnie et de l’anoblir en lui donnant une forme plus scientifique. Les comtés du sud et du sud-ouest de l’Angleterre réclament à l’envi l’honneur de cette seconde création. Si j’en crois pourtant de bonnes autorités, le berceau du jeu de cricket, tel qu’il se pratique maintenant, aurait été la petite ville de Farnham, dans le Surrey. On a fait observer avec esprit que le cricket, étant un divertissement tout anglo-saxon, se montrait en quelque sorte inséparable de la bière. Né au milieu des jardins de houblon qui florissent à Farnham, il s’est bientôt répandu dans le Kent et dans quelques autres comtés, mais en suivant toujours la ligne de cette culture, et en rattachant ses progrès à la vigne anglaise. Une autre remarque plus certaine est que les jeux populaires se trouvent soumis à la configuration géologique des contrées. Le cricket s’est établi tout d’abord et avec une grande facilité dans les pays de plaines, tandis qu’il rencontra une résistance qui dure encore dans les pays de montagnes. Le Kent et le Surrey se montrè-