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nue d’y pénétrer. Ce soir-là, je m’arrêtai court, et après quelques hésitations accordées à des scrupules aussi nouveaux que tous les autres sentimens qui m’agitaient, je cédai à une tentation véritable, et j’entrai.

Il y faisait presque nuit. Le bois sombre de quelques meubles anciens se distinguait à peine, l’or des marqueteries luisait faiblement. Des étoffes de couleur sobre, des mousselines flottantes, tout un ensemble de choses pâles et douces y répandait une sorte de léger crépuscule et de blancheur de l’effet le plus tranquille et le plus recueilli. L’air tiède y venait du dehors avec les exhalaisons du jardin en fleur ; mais surtout une odeur subtile, plus émouvante à respirer que toutes les autres, l’habitait comme un souvenir opiniâtre de Madeleine. J’allai jusqu’à la fenêtre : c’était là que Madeleine avait l’habitude de se tenir, et je m’assis dans un petit fauteuil à dossier bas qui lui servait de siège. J’y demeurai quelques minutes en proie à une anxiété des plus vives, retenu malgré moi par le désir de savourer des impressions dont la nouveauté me paraissait exquise. Je ne regardais rien ; pour rien au monde, je n’aurais osé porter la main sur le moindre des objets qui m’entouraient. Immobile, attentif seulement à me pénétrer de cette indiscrète émotion, j’avais au cœur des battemens si convulsifs, si précipités, si distincts, que j’appuyais les deux mains sur ma poitrine pour en étouffer autant que possible les palpitations incommodes.

Tout à coup j’entendis dans les corridors le pas rapide et sec d’Olivier. Je n’eus que le temps de me glisser jusqu’à la porte ; il arrivait. — Je t’attendais, me dit-il assez simplement pour me persuader, ou qu’il ne m’avait pas vu sortir de la chambre de Madeleine, ou qu’il n’y trouvait rien à redire.

Il était fort élégamment mis, en tenue légère, avec une cravate un peu lâche et des habits larges, tels qu’il aimait à les porter, surtout en été. Il avait cette démarche aisée, cette façon libre de se mouvoir dans des habits flottans qui lui donnaient à certains momens comme un air fort original de jeune homme étranger, soit anglais, soit créole. C’était l’instinct d’un goût très sûr qui l’invitait à s’habiller de la sorte. Il en tirait une grâce toute personnelle, et moi qui ai connu ses qualités en même temps que ses faiblesses, je ne puis pas dire qu’il y mît beaucoup de prétention, quoiqu’il en fît l’objet d’une réelle étude. Il considérait la composition d’une toilette, le choix des nuances, les proportions d’un habit comme une chose très sérieuse dans la conduite générale d’un homme de bon ton ; mais, une fois la toilette admise, il n’y pensait plus, et c’eût été lui faire injure que de le supposer préoccupé de sa mise au-delà du temps voulu par les soins ingénieux qu’il y donnait.