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l’hôtel. Habituellement je venais le prendre aux heures du collège, et l’appelais du jardin pour qu’il descendît. Je me souvins qu’à pareille heure, presque tous les jours, une autre voix me répondait, que Madeleine alors mettait la tête à sa fenêtre et me disait bonjour ; je pensai à l’émoi que me causait cette entrevue quotidienne, autrefois sans charme ni dangers, devenue si subitement un vrai supplice, et j’entrai hardiment, presque joyeux, comme si quelque chose en moi de craintif et de surveillé prenait ses vacances.

La maison était vide. Les domestiques allaient et venaient, comme étonnés, eux aussi, de n’avoir plus à se contraindre. On avait ouvert toutes les fenêtres, et le soleil de mai jouait librement dans les chambres, où toutes choses étaient remises en place. Ce n’était pas l’abandon, c’était l’absence. Je soupirai. Je calculai ce que cette absence devait durer. Deux mois ! cela me paraissait tantôt très long, tantôt très court. J’aurais souhaité, je crois, tant j’avais besoin de m’appartenir, que ce mince répit n’eût plus de fin.

Je revins le lendemain, les jours suivans : même silence et même sécurité. Je me promenai dans toute la maison, je visitai le jardin allée par allée, — Madeleine était partout. Je m’enhardis jusqu’à m’entretenir librement avec son souvenir. Je regardai sa fenêtre, et j’y revis sa jolie tête. J’entendis sa voix dans les allées du parc, et je me mis à fredonner, pour retrouver comme un écho de certaines romances qu’elle se plaisait à chanter en plein air, que. le vent rendait si fluides et que le bruit des feuilles accompagnait. Je revis mille choses que j’ignorais d’elle ou qui ne m’avaient pas frappé, certains gestes qui n’étaient rien et qui devenaient charmans ; je trouvai pleine de grâce l’habitude un peu négligée qu’elle avait de tordre ses cheveux en arrière et de les porter relevés sur la nuque et liés par le milieu comme une gerbe noire. Les moindres particularités de sa mise ou de sa tournure, une odeur exotique qu’elle aimait et qui me l’eût fait reconnaître les yeux fermés, tout, jusqu’à ses couleurs préférées adoptées depuis peu, le bleu qui la parait si bien et qui faisait valoir avec tant d’éclat sa blancheur sans trouble, tout cela revivait avec une lucidité surprenante, mais en me causant une autre émotion que sa présence, comme un regret, agréable à caresser, des choses aimables qui n’étaient plus là. Peu à peu je me pénétrai sans beaucoup de chaleur, mais avec un attendrissement continu, de ces réminiscences, le seul attrait presque vivant qui me restât d’elle, et moins de quinze jours après le départ de Madeleine ce souvenir envahissant ne me quittait plus.

Un soir, je montais chez Olivier, et comme à l’ordinaire je passais devant la chambre de Madeleine. Bien souvent déjà j’en avais trouvé la porte grande ouverte sans que la pensée me fût jamais ve-