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Il nous reste à parler du personnage qui donne son nom à cette première partie du livre. Fantine n’est cependant qu’un personnage épisodique, qui a l’air de tenir dans le livre plus de place qu’elle n’en tient en réalité, et dont l’histoire, d’ailleurs très dramatique, se relie assez mal jusqu’à présent à celle du personnage principal. Je dis Jusqu’à présent, car il est probable que cette histoire sert pour ainsi dire de préface et d’introduction aux aventures des personnages qui, dans les parties suivantes des Misérables, vont partager avec Jean Valjean l’intérêt du lecteur. Nous ne pouvons dire exactement quelle place Fantine tient dans l’œuvre générale, si elle n’est qu’un accident, ou si elle sert de prologue à un drame que nous ne connaissons pas encore. Quoi qu’il en soit, sa destinée commence et s’achève dans ce premier épisode, destinée courte et douloureuse. M. Hugo nous la montre à vingt ans, « belle sous les deux espèces, qui sont le rhythme et le mouvement, » en compagnie d’un étudiant de dixième année, braillard et désagréable, qui répond au nom mélodieux de Tholomyès. Le livre intitulé en 1817, où il nous fait assister aux gaîtés de ses étudians, est à notre avis le plus faible de tous. Ces trop longues scènes ne manquent pas d’une certaine grâce, mais cette grâce est sans légèreté; elles ont un certain entrain, mais cet entrain est bruyant sans vivacité. Tholomyès a beau entasser les métaphores incongrues et rehausser de mauvais goût les platitudes de sa sotte cervelle, il ne parvient pas à être amusant. Ajoutons que la bonne humeur (si l’argot n’était interdit, nous dirions la blague) de ce polisson est beaucoup trop laborieuse et trop littéraire pour être communicative. Tholomyès a trop deviné par avance les futures joyeusetés du petit Jehan Frollo de Notre-Dame de Paris, et se rappelle trop les gais propos à phrases courtes des buveurs et mangeurs de tripes du Gargantua et les interminables dissertations de l’érudit Panurge. Il vise au même genre de comique que Rabelais, et il y réussit assez mal. Quelques rares notes de jeunesse éclatent çà et là au milieu de ce tohu-bohu de phrases sans queue ni tête qui se prolonge pendant vingt pages, au grand déplaisir du lecteur; dans tout cela, il n’y a que deux lignes vraiment jolies, et qui ressuscitent pour l’imagination la vie heureuse de l’adolescence : « Qu’est-ce que tu ferais, Favourite, si je cessais de t’aimer? » dit un jeune étudiant à sa maîtresse. Et comme celle-ci le menace de vengeances sans nom, «Blachevelle, extasié, sourit avec la fatuité voluptueuse d’un homme chatouillé à l’amour-propre, se renversa sur sa chaise et ferma orgueilleusement les deux yeux. » Voilà bien une pose de la vingtième année, et que les jeunes lecteurs reconnaîtront. La pose est vraie, vivante, et pourrait se traduire aisément par le crayon. C’est