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diffuse, au lieu de briller et de s’éteindre isolément. Le lecteur est jusqu’à un certain point obligé de composer lui-même le caractère de l’évêque, car M. Hugo, dans cette première partie, nous présente plutôt les matériaux et les élémens du personnage que ce personnage même, formé, façonné, forgé par la fournaise de son imagination. Ajoutons que parmi ces matériaux il en est qui paraissent inutiles et qui auraient pu être élagués. Telle est la lettre dans laquelle Mlle Baptistine raconte le caractère de son frère, lettre qui ne fait que répéter, sans rien y ajouter de nouveau, les circonstances que le récit présente avec plus de force, et même avec plus de finesse et de simplicité.

Si l’auteur s’était refusé quarante pages, il aurait rejeté sans doute un certain nombre d’expressions excentriques, de trivialités, voire de lieux-communs, qui déparent çà et là cette première partie, et le personnage de Mgr Bienvenu y aurait gagné; mais, puisque nous insistons si fortement sur les défauts de cet épisode, il serait injuste de ne pas signaler les beautés qui s’y rencontrent. Citons par exemple le chapitre où M. Hugo explique comment, malgré ses vertus ou plutôt à cause de ces vertus mêmes, Mgr Myriel vivait dans un isolement presque absolu, et la page sur les raisons qui doivent interdire au prêtre la richesse et le luxe. Cela est juste, vrai, sainement pensé, fortement dit. Je ne veux pas résister au plaisir de citer ce court fragment. « Disons-le, ce ne serait pas une haine intelligente que la haine du luxe. Cette haine impliquerait la haine des arts. Cependant chez les gens d’église, en dehors de la représentation et des cérémonies, le luxe est un tort. Il semble révéler des habitudes peu réellement charitables. Un prêtre opulent est un contre-sens. Le prêtre doit se tenir près des pauvres. Or peut-on toucher sans cesse, et nuit et jour, à toutes les détresses, à toutes les infortunes, à toutes les indigences, sans avoir soi-même sur soi un peu de cette sainte misère, comme la poussière du travail? Se figure-t-on un homme qui est près d’un brasier et qui n’a pas chaud? Se figure-t-on un ouvrier qui travaille sans cesse à une fournaise, et qui n’a ni un cheveu brûlé, ni un ongle noirci, ni une goutte de sueur, ni un grain de cendre au visage?... »

Je dois mentionner une scène étrange, qui pouvait être belle et qui n’est qu’audacieuse : l’entrevue de l’évêque et du conventionnel G... Je suis loin de reprocher à M, Hugo, comme le font certains lecteurs, d’avoir mis en présence ces deux personnages. C’était une idée délicate, difficile à exécuter, mais vraiment faite pour tenter un véritable artiste, et je ne m’étonne pas qu’elle ait tenté M. Hugo. Les divers élémens de la scène sont bien inventés et bien disposés, et cependant elle est sans effet sur l’imagination du lecteur, et elle finit