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absout et pardonne, d’où jamais un affligé ne sortit sans que son affliction ne lui fût plus légère, est bien le vestibule naturel des sombres édifices que nous allons parcourir. Avant de s’engager dans le dédale de ces repaires où sont cachées toutes les infirmités et toutes les hontes qui humilient l’orgueil des sociétés civilisées, il était bon que l’on pût lire sur la porte d’entrée l’inscription contraire à celle de Dante : « vous qui entrez, ne laissez pas toute espérance. » Ce début est donc d’une invention à la fois forte et touchante, et d’une logique littéraire tout à fait irréprochable. Les vrais artistes ont seuls de ces idées-là. C’est très légitimement que M. Hugo a pensé que l’introducteur naturel aux misères sociales devait être non un maudit ou un réprouvé, mais un homme de Dieu, un serviteur fidèle de celui qui vint apporter aux hommes la bonne nouvelle, et qui voulut descendre lui-même dans les limbes pour délivrer les âmes captives des justes.

Les cent cinquante premières pages du livre retiennent dans l’humble domicile du saint évêque le lecteur, qui, après avoir trouvé d’abord ce séjour un peu long, regrette parfois de n’y pouvoir rentrer lorsqu’il en est sorti, afin d’échapper aux miasmes des antres où nous promène l’auteur, et de respirer l’air pur des vertus humaines. C’est un intérieur charmant et gracieux par son dénûment même que celui de cet évêque qui se dépouille pour vêtir ceux qui sont nus et s’affame pour nourrir les affamés. Deux personnes dévouées et laborieuses occupent d’ailleurs tout le temps qu’elles ne donnent pas à Dieu à faire reluire mieux que l’or ce dénûment volontaire et à placer sous un jour qui puisse les faire valoir ces débris d’un luxe ancien, épaves chéries arrachées à grand’peine à l’avidité insatiable d’une charité toujours exigeante. Ces deux personnes sont Mme Magloire, vieille servante qui, sachant que les grandes maisons ne doivent pas péricliter, « prenait le double titre de femme de chambre de mademoiselle et de femme de charge de monseigneur, » et la sœur de l’évêque, Mlle Baptistine, dont M. Hugo a tracé un portrait aimable, qui serait parfait si on en retranchait çà et là quelques expressions un peu trop heurtées. « Mlle Baptistine était une personne longue, pâle, mince, douce; elle réalisait l’idéal de ce qu’exprime le mot respectable, car il semble qu’il soit nécessaire qu’une femme soit mère pour être vénérable. Elle n’avait jamais été jolie; toute sa vie, qui n’avait été qu’une suite de saintes œuvres, avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de clarté. » Le dévouement des deux femmes est absolu : au milieu des privations que leur impose la charité de l’évêque, jamais elles n’ont fait entendre un mot de reproche, et ne se sont permis même une observation inoffensive. Quelquefois elles ont pensé peut-être que