Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES
MISÉRABLES
PAR M. VICTOR HUGO.[1]

Dieu, selon le mot de l’Écriture, a livré le monde aux disputes; c’est pourquoi, dans sa sagesse et sa prévoyance infinies, il a bien soin de ne jamais laisser la terre manquer trop longtemps d’élémens de controverse. A chaque génération, il envoie cinq ou six hommes auxquels il confère le privilège de l’antique Jupiter, et qu’on pourrait nommer comme lui amasseurs de nuages. Quoi qu’ils fassent ou qu’ils touchent, ces hommes déchaînent les tempêtes et soulèvent les orages. Leurs paroles les plus inoffensives résonnent d’un bruit de guerre, comme les mouvemens d’un guerrier au repos rendent involontairement un cliquetis d’acier. M. Victor Hugo est peut-être de tous les hommes de notre époque celui qui a reçu le plus pleinement ce privilège glorieux et parfois embarrassant. Personne n’aura fait naître autant de colères, fourni le prétexte d’autant de guerres civiles littéraires, soulevé d’aussi fanatiques enthousiasmes, enfanté des haines aussi intraitables et d’aussi inaltérables dévouemens. Il peut dire justement.de lui-même : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre. » Comptez, si vous pouvez, toutes les inimitiés, toutes les ruptures et tous les horions dont ses œuvres ont été la cause. Des gens qui étaient faits pour s’estimer sans se comprendre et qui auraient vécu sans lui dans une paisible dissidence ont été séparés à jamais par la publication des Orientales ou des Feuilles d’Automne, et les représentations d’Her-

  1. Première partie, Fantine; 2 vol. in-8o. Paris, Pagnerre, 1862.