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Castle (c’est le nom de ce château fort) détachait dans la brume une grosse tour centrale autour de laquelle se développaient quatre bastions. Du côté de la mer, cette masse circulaire de noires et épaisses murailles se trouve défendue par une batterie avancée. On peut même juger, à la disposition du terrain, que le château des dunes de sable était autrefois protégé contre la mer par un fossé. Ce fossé a disparu, et la mer baigne aujourd’hui les pierres usées de la partie du castle qui regarde les rives de France. Un tel état d’abandon et de décrépitude me donna une pauvre idée de la valeur que les ingénieurs militaires attachent désormais aux anciens travaux de défense nationale. Cette vue ne faisait d’ailleurs qu’ajouter au caractère de désolation que présentaient les côtes. Enfin j’arrivai à Deal vers le soir. À ma grande surprise, je trouvai l’intérieur de la ville assez animé ; je dis à ma grande surprise, car la plupart des anciennes villes anglaises qui bordent les côtes de la Manche, habitées par une population de pêcheurs ou de hardis pilotes, dorment toute l’année à l’ombre des filets dans une paix qui n’est troublée que par les rafales et les orages de l’Océan. Le lendemain matin, ce fut bien autre chose : à peine éveillé, je courus à ma fenêtre, et de l’hôtel où j’étais descendu j’aperçus une bande de musiciens qui se dirigeaient vers le port, suivis par un groupe d’enfans et de curieux. Il y avait dans l’air comme un bourdonnement de joie. Le port offrait lui-même un spectacle inattendu : des bateaux décorés de bannières et d’enseignes portaient des hommes en train de charger des tentes, des corbeilles remplies de provisions de bouche et tous les apprêts d’une fête. Je voulus connaître la cause d’un tel mouvement, et le garçon de l’hôtel m’apprit qu’on allait jouer ce jour-là une partie de cricket (cricket match). « Mais où ? lui demandai-je. — Sur les fameux sables de Goodwin, » répondit-il avec une certaine emphase.

En marchant la veille sur le bord de la mer, j’avais aperçu à la hauteur des vagues, et à une distance inégale de la côte, des langues de terre ou plutôt de gravier qui s’étendaient en lignes jaunes ou grisâtres dans la direction du détroit. Ces bancs de sable varient considérablement en longueur et en largeur ; à chaque mouvement du flux, ils se trouvent plus ou moins couverts par les hautes marées. À terre et de la situation où je me trouvais, les bandes aplaties auxquelles on a donné le nom de sables de Goodwin (Goodwin Sands) étaient quelquefois brusquement dérobées à ma vue par le rideau des vagues soulevées avec violence. L’origine de ces sables qui gênent fort la navigation, et contre lesquels plus d’un vaisseau est venu échouer par les gros temps, a été l’objet de plus d’un commentaire. La tradition veut que ce soient les restes d’une an-