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à l’idéologie et à la physiologie, c’est alors précisément qu’en France et en Allemagne renaissent avec le plus de curiosité et le plus d’ardeur les recherches spéculatives : toutes les idées métaphysiques, taxées jusqu’alors d’abstractions et de fictions, occupent de nouveau et sollicitent l’esprit humain. Comment expliquera-t-on cette résurrection de la métaphysique, lorsque tout semblait avoir consommé sa ruine ? Ne serait-ce pas qu’elle est un des besoins inextinguibles de l’esprit et l’une des conditions les plus nécessaires de la civilisation ? Ne désespérons donc pas de l’avenir de la métaphysique, et, tout en la dégageant des vaines hypothèses et des abstractions verbales, prenons garde de la réduire à n’être plus que le mensonge d’elle-même et l’illusion d’une science. Heureusement il lui reste encore trop d’amis dévoués et passionnés pour qu’un tel mal soit à craindre.


PAUL JANET.


Les Chevaliers-Poètes de l’Allemagne (Minnesinger), par M. Octave d’Assailly[1]. - L’époque qui vit naître la chevalerie en Allemagne fut aussi celle du premier épanouissement de la poésie germanique. Le livre de M. d’Assailly est un ensemble d’études sur ce moment si curieux dans l’histoire du monde féodal où la vie intellectuelle y pénètre et commence à le transformer. Les poètes qu’il met en scène ne sont pas seulement intéressans par les œuvres qu’ils nous ont laissées, mais par cette forte empreinte des âges où ils ont vécu, et qui en fait autant de types historiques. Tel est par exemple le genre d’intérêt qui s’attache à Walther de la Wogelweide, ce prince des troubadours-chevaliers, dont la vie nous apparaît partagée entre trois influences suprêmes, l’amour, la passion politique et la piété. M. d’Assailly a bien fait ressortir les traits principaux de cette physionomie complexe ; on pourrait lui reprocher seulement d’avoir trop appuyé sur le côté extérieur et un peu négligé le côté intime, cette sensibilité si vive et si originale qui se révèle dans quelques chants d’amour du vieux poète où se montre à son aurore, et comme empreinte d’une fraîcheur matinale, l’inspiration naturaliste que réveilleront plus tard les Kerner et les Uhland. Les autres minnesinger dont s’est occupé M. d’Assailly ne sont pas des représentans moins curieux de la vie chevaleresque et poétique de l’Allemagne, mais ils ne la résument peut-être pas aussi complètement que Walther. Quoi qu’il en soit, on lira avec intérêt les pages consacrées à Godefroid de Strasbourg, l’aimable et tendre auteur de Tristan et Isolde, à Ulrich de Lichtenstein, ce rude amateur de tournois et de coups d’épée, à Wolfram d’Eschenbach, le grand poète épique si chaudement célébré par Frédéric Schlegel, au Tannhäuser et à Frauenlob, l’un le plus aventureux, l’autre le plus galant des minnesinger. Il est fâcheux que M. d’Assailly apporte dans ces curieuses restitutions un peu plus d’enthousiasme que de critique. Toutefois la sincérité du sentiment, une sorte d’abandon juvénile font accepter sans trop de peine ici quelques témérités d’idée et de langage. Son livre indique en somme un esprit familier avec quelques aspects peu connus de la poésie allemande, et qui, fortifié par de pareilles études sévèrement pour suivies, ne peut manquer de trouver bientôt sa voie.


V. DE MARS.

  1. 1 vol. in-8) chez Didier.