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Comme virtuose, M. Auguste Dupont est un pianiste au style sévère qui pousse la vigueur jusqu’à la rudesse, et qui manque un peu d’âme. Comme compositeur, il a du savoir et plus de distinction dans la forme et dans la contexture du style que d’abondance dans les idées. Tel qu’il s’est produit à Paris comme virtuose et comme compositeur, M. Auguste Dupont n’en a pas moins donné l’idée d’un talent élevé qui fait honneur à une école. Le Conservatoire de musique de Paris ne possède pas un professeur de piano du mérite de M. Auguste Dupont.

Un autre pianiste qui jouit d’une réputation honorable et méritée, M. Alexandre Billet, de Genève, est venu également se faire entendre à Paris. Il a donné deux soirées dans les salons de Pleyel, où il s’est fait applaudir par une exécution brillante et correcte. Il a joué successivement une fantaisie de Mendelssohn, une polonaise de Weber et la grande valse en la bémol de Chopin. Dans tous ces morceaux, M. Alexandre Billet a fait preuve d’une grande flexibilité de style et d’un goût parfait. C’est encore de Genève qu’arrive M. Emile Bret, qui a tenté une chose bien hardie : dans un concert qu’il a donné le 11 mai à la salle de M. Herz, il a fait entendre des fragmens d’un opéra en deux actes de sa composition, la Victime de Morija, et puis d’autres fragmens d’un opéra-comique en un acte, également de sa composition, et tout cela, inédit. L’impression qui nous est restée des morceaux que nous avons entendus est plus favorable au talent de M. Bret qu’au caractère de ses idées musicales, qui nous ont paru venir d’un peu loin. Il semble en effet que le jeune compositeur, qui est organiste, je crois, confiné dans une ville de province, où les nouveautés sont rares, ait été nourri seulement des œuvres de quelques vieux maîtres, tels que Sacchini ou Lesueur. Il est donc à désirer que M. Emile Bret, qui est jeune et déjà habile dans certaines parties du métier, entende et étudie beaucoup la musique moderne, non pas pour en imiter servilement les formes, mais pour ne pas ignorer ce qui s’est fait de nouveau dans l’art depuis cinquante ans.

Un pianiste et un organiste français qui ne manque ni de prétention ni de talent, M. Saint-Saëns, a donné deux soirées musicales où il a exhibé toute sorte de compositions de sa façon : des sonates, des concertos et des symphonies. M. Saint-Saëns, qui a fait de bonnes études et qui vit dans un monde gourmé et un peu pédant, s’imagine qu’il suffit d’enfourcher une formule et de frapper sur le clavier de bruyans accords pour donner le change aux connaisseurs. Il se trompe bien évidemment, et depuis qu’il se prodigue en public, M. Saint-Saëns n’est point parvenu à nous convaincre qu’il soit destiné par Dieu à composer de la musique. Je ne puis mieux comparer M. Saint-Saëns qu’à un bon scholar dont la faconde parle de tout et sur tout sans jamais émettre une idée originale. Soit qu’il tienne l’orgue à l’église de la Madeleine, soit qu’il exécute un concerto de Beethoven au Conservatoire, ou l’une de ses compositions dans les séances où il impose ses œuvres, M. Saint-Saëns reste tout simplement un artiste fort distingué qui fait honneur aux maîtres qui lui ont donné de si bonnes leçons.

Faut-il mentionner tous les artistes grands ou petits qui ont fait un appel cette année à la bonne volonté du public ? Ce serait une tâche impossible. Arrivons tout de suite aux dernières fêtes musicales de l’année, qui n’ont pas été les moins brillantes. On avait tout lieu de penser que le public était