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Pleyel un grand nombre d’amateurs distingués. Cette société, où brille M. Ernest Lubeck, pianiste d’un talent vigoureux, se fait remarquer par la variété de ses programmes et une exécution chaleureuse. M. Charles Lamoureux a donné aussi dans les salons de Pleyel quelques séances de quatuor qui n’ont pas manqué d’intérêt. Il serait souverainement injuste de ne pas mentionner les séances de musique de chambre que donne depuis quatorze ans Mme Amédée Tardieu, plus connue sous le nom de Charlotte de Malleville, musicienne très distinguée, pianiste au jeu facile et délicat.

Nous avons annoncé ici, au commencement de la saison musicale, l’arrivée à Paris de Mme Clara Schumann, artiste éminente, et femme du compositeur allemand qui est mort le 29 juillet 1854 dans une maison d’aliénés près de Dusseldorf. Mme Clara Schumann, dont le talent de pianiste est très goûté en Allemagne et en Angleterre, a donné quatre concerts dans les salons brillans de la maison Érard. Elle a été aussi admise à jouer un concerto de Beethoven à l’une des séances de la Société du Conservatoire. J’ai assisté à toutes les soirées de Mme Schumann, et je l’ai écoutée avec la déférence que méritait sa réputation, mais que n’imposait pas la musique de son mari, que je connais de reste. Au second concert, qui a eu lieu le 27 mars, Mme Schumann a exécuté avec M. Armingaud une sonate, pour piano et violon, de la composition de Robert Schumann, œuvre pénible, d’une longueur démesurée. On ne peut y louer qu’un andante assez gracieux ; mais tout le reste du morceau est d’une obscurité de conception qui ne mérite pas d’être éclaircie. Mme Schumann a été plus heureuse en exécutant avec une vigueur singulière la belle sonate en ut majeur de Beethoven. Dans cette musique profonde, le talent de la virtuose a été presque à la hauteur de l’inspiration du maître. Mme Schumann a clos la séance par une composition des plus étranges de son mari, intitulée le Carnaval. C’est une sorte de petite épopée humoristique, dans le genre d’Hoffmann ou de Jean-Paul Richter, subdivisée en seize épisodes ayant chacun un titre particulier : Préambule, — Pierrot, — Arlequin, — Valse noble, — Chiarina, etc. Il serait difficile d’imaginer quelque chose de plus fantasque et de moins musical que cette triste bouffonnerie d’un esprit malade, qui dure plus d’une demi-heure, et où l’oreille éperdue ne peut saisir ni un rhythme ni une idée saillante. C’est le rêve troublé d’une imagination fiévreuse, qui n’a plus conscience de la liaison des idées. Le public n’a pas laissé ignorer à la grande virtuose le désappointement qu’il éprouvait, et j’ai vu le moment où il aurait déserté la salle, si le cauchemar musical de Robert Schumann eût duré une seconde de plus. Mme Clara Schumann peut être certaine que son beau talent d’exécution, qui brille surtout par la vigueur et la précision, aux dépens de la grâce féminine, dont elle est complètement dépourvue, a été très apprécié à Paris ; mais la musique de son mari, qu’elle a essayé de nous imposer, n’a pu vaincre l’indifférence du public et la désapprobation des hommes de goût, qui ne se laissent pas étourdir par de creuses rêvasseries.

Un artiste belge très distingué, M. Auguste Dupont, qui est professeur de piano au Conservatoire de Bruxelles, est venu se faire entendre aussi à Paris, où il a donné deux soirées musicales dans les salons de la maison Érard.