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Encouragé par l’ardeur empressée de son public, M. Pasdeloup a osé faire exécuter dans deux séances, le 6 et le 13 avril, une œuvre bien sévère de Mendelssohn, Élie, oratorio divisé en deux parties et composé de quarante-trois morceaux. M. Pasdeloup a été pourtant assez discret pour ne produire devant une si nombreuse réunion de Français nés malins que la première partie de cette noble composition, où il n’y a pas le plus petit mot pour rire, et dans laquelle on ne trouve même pas l’expression de l’amour le plus chaste. On sait que l’oratorio est une sorte de drame biblique dont l’origine remonte au XVIe siècle. C’est à saint Philippe de Néri, qui a fondé à Rome en, 1566 la congrégation de l’Oratoire, qu’on attribue la création de cette forme de l’art, qui, comme toutes les choses que les hommes ont inventées, doit son origine à un besoin de la vie. Contemporain et ami de Palestrina, saint Philippe de Néri voulut que la musique fût une pieuse et aimable distraction de ses disciples, et il s’ingénia à puiser dans les livres saints une action très simple, entremêlée de récitatifs et de cantiques. C’est ainsi qu’est née la première idée de l’oratorio, qui n’était après tout qu’une imitation et un développement du drame liturgique de l’église. Tous les grands compositeurs italiens ont écrit des oratorios qui se sont perpétués jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Le Stabat de Pergolèse, les psaumes de Marcello, et de nos jours le Stabat de Rossini, ne sont, à vrai dire, que des oratorios. Haydn, Mozart, Beethoven, Spohr, et avant eux Sébastien Bach et surtout Handel ont écrit des oratorios qui sont des œuvres admirables que le public français connaît fort peu. La Passion d’après saint Matthieu, de Sébastien Bach, est peut-être la composition la plus vaste et la plus compliquée qui existe en musique. Mendelssohn, qui est ne à Berlin et qui a été bercé avec la musique de Bach et dans la tradition de son école, a fait deux oratorios, Paulus et Élie, qui sont connus et très admirés en Allemagne et en Angleterre, où on les exécute presque tous les ans avec une grande masse de musiciens.

Je n’ai pas besoin d’apprendre au lecteur qu’Élie est un grand personnage de l’Ancien Testament, dont il est longuement question dans le premier livre des Rois. Ce fut un prophète, un de ces tribuns sacrés qui, au nom de la loi de Moïse, au nom du Dieu d’Israël et de la nationalité, venaient s’opposer à l’ambition, à la tyrannie des rois. Les personnages principaux dans le cadre que s’est tracé Mendelssohn sont Élie, la veuve, Abdias, les anges, puis le peuple et les prêtres. La partie d’Élie est écrite pour une voix de basse, celle de la veuve pour une voix de soprano, Abdias est un ténor, et les anges qui apparaissent se partagent les trois registres de la voix de femme.

L’œuvre commence par une courte invocation du prophète Élie, menaçant le peuple de la colère de Dieu. Une introduction symphonique écrite dans le style fugué, et dont l’instrumentation un peu sourde ne présente rien de remarquable, va s’enchaîner immédiatement avec le chœur que chante le peuple réuni : — Dieu d’Israël, vois la souffrance. — Ce chœur, écrit dans le même ton que l’introduction symphonique et très dialogué, repose sur une harmonie un peu trop modulante pour des masses chorales. Le duo qui suit, — Sion lève les mains vers toi, — pour deux voix de soprano,