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sommes pas les seuls à professer cette opinion, — c’est aussi celle d’un infatigable lutteur, M. Agénor de Gasparin, l’auteur du nouveau livre l’Amérique devant l’Europe, — que s’il existait en France une école libérale forte et zélée, son action morale pourrait se faire heureusement sentir dans la question américaine. Passant par un tel organe, les conseils de la France arriveraient avec autorité à ces deux portions de la république déchirée, et contribueraient peut-être à en réunir les lambeaux. Au lieu de nous appliquer à une telle tache, nous sommes occupés à discuter de tristes et périlleuses billevesées. On nous parle d’exercer notre médiation entre les fédéraux et les séparatistes, sans savoir seulement ce que c’est qu’une médiation. Pour qu’une médiation puisse s’exercer, il faut qu’elle s’appuie sur des bases acceptables aux deux parties. Or en Amérique le nord n’accepterait de médiation que sur la base du rétablissement de l’union, et le sud sur la base de la séparation : toute médiation est donc impossible. Une idée pareille n’est qu’une mystification où les journaux anglais s’amusent de la naïveté fanfaronne de quelques-uns de leurs confrères parisiens. Tout cela d’ailleurs cache peut-être de plus noirs projets : c’est pour certains journaux une façon de se préparer à demander la reconnaissance du sud. Cette reconnaissance serait purement et simplement, dans l’état présent des choses, une déclaration de guerre à l’Union américaine. Il ferait beau voir ceux qui mettaient la gloire de la France à faire la guerre pour une idée exhorter notre pays à faire, contre ses traditions et ses intérêts permanens, la guerre pour le maintien de l’esclavage et pour le roi-coton.

E. FORCADE.



REVUE MUSICALE

LES CONCERTS DE LA SAISON.


On a beau médire de Paris, de cette ville frivole où les opinions paraissent si mobiles et les réputations si éphémères ; on tient et on tiendra longtemps à mériter les suffrages de ces nouveaux Athéniens, dont les jugemens sont acceptés de toute l’Europe. Depuis bien des siècles, la capitale de la France exerce sur le monde civilisé une prépondérance dont on n’a pu toujours expliquer la cause. Il est bien connu, ce passage de Brunetto Latini, où le maître de Dante avoue que s’il publie son livre il Tesoretto en français, c’est parce que la parlure en est plus délectable et plus commune à toutes gens. Si cela était vrai en 1260, il est incontestable qu’en 1862 la presse et la critique françaises dirigent bien souvent, comme autrefois, le goût de l’Europe. Aussi les artistes et les maîtres en tout genre qui vont en Angleterre pour gagner de l’argent s’empressent-ils de venir demander au public de Paris la sanction d’une renommée qu’ils ont acquise ailleurs. Ce n’est point pour s’enrichir assurément que des virtuoses comme Mme Clara Schumann,