Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/1025

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provoqua en 1840, furent en effet le prodrome de la première des paniques anglaises dont M. Cobden nous raconte les causes et les effets. Ce fut après les inquiétudes et les froissemens de 1840 que la France, sous l’impulsion sagace du prince de Joinville, se mit à travailler à la réorganisation de sa marine avec une application qui alarma l’Angleterre. S’il nous était permis d’exprimer une préférence entre les diverses parties de l’ouvrage de M. Guizot, nous avouerions que le cinquième tome, celui qui vient de paraître, nous a plus attachés encore que les précédens volumes. C’est l’histoire de l’ambassade de M. Guizot à Londres. Ce récit, admirablement composé, présente à la fois un grand charme et un puissant intérêt La peinture de la société anglaise, où sa mission introduisait M. Guizot, est un morceau achevé, sobre et piquant, ferme et gracieux. Le charme que M. Guizot a dû éprouver en retraçant ces souvenirs et ces portraits se communique tout entier au lecteur. On est heureux de pénétrer avec lui dans cette noble demeure de Holland-House qu’illumine encore la grande et bonne figure de Fox, dans cette maison qui fait partie elle-même de l’histoire d’Angleterre, et qui est demeurée glorieuse jusqu’à ce jour par sa généreuse hospitalité. Le grand intérêt politique du livre est la négociation malheureuse qui aboutit au traité du 15 juillet 1840. Il eût été difficile de présenter un tel exposé avec plus de clarté et d’attrait. Pourtant le mérite de la forme, nous en faisons l’aveu, ne peut nous consoler des douloureuses erreurs qui furent alors commises par nos principaux hommes d’état. On déplore et on a peine à comprendre l’étrange aveuglement et l’entraînement singulier qui portèrent le ministère et la France de cette époque à sacrifier l’alliance anglaise aux convenances du pacha d’Égypte et à placer pour l’Europe la question de paix ou de guerre entre les mains de ce vieux et rusé barbare Méhémet-Ali. On n’est jamais allé plus gratuitement et avec plus de laisser-aller au-devant d’un échec moral. La France, qui n’avait fait la guerre ni pour la Pologne, ni pour l’Italie, ne pouvait point décemment affronter la guerre continentale et la guerre maritime contre l’Europe coalisée pour la question de savoir si le pacha, à qui en tout état de cause notre influence assurait l’hérédité de l’Égypte, posséderait une plus ou moins grande partie de la Syrie a titre héréditaire ou à titre viager. L’alliance anglaise était pour un gouvernement libéral et nouveau une force inappréciable. À l’aide de cette alliance, en lui faisant porter des fruits, en la mettant en action en Orient surtout, nous pouvions dissoudre l’alliance du Mord, car, les événemens l’ont bien montré depuis, l’Autriche en Orient ne peut suivre la Russie, et se trouve forcée de se rallier plus ou moins ouvertement à l’alliance anglo-française. Eh bien ! c’est l’Orient même que nous allions choisir pour y heurter l’Angleterre dans un intérêt vital de son amour-propre, peut-être de sa sécurité, et pour y perdre tous les bénéfices de l’alliance et les faire passer à celui qui poursuivait notre abaissement avec une passion dont il a été justement puni, l’empereur Nicolas. Qu’un tel