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mens des autres membres et celui de lord Palmerston. Ses derniers traits, les plus bouffons, ont été réservés à son lieutenant, à son candide ami, M. Walpole. Se souvenant tout à coup que le lendemain était le jour du Derby, il a souhaité à ses auditeurs de ne point être soumis au désappointement qu’il éprouvait ; il a fait des vœux pour que leurs favoris ne fissent point faux bond.

En tout autre pays, une telle scène couronnée par une si galante harangue équivaudrait à la dissolution d’un parti. Nous espérons qu’il n’en sera pas ainsi en Angleterre. La veille d’un Derby où en effet les favoris ont désappointé tant de gens, la plaisante mauvaise humeur de M. Disraeli contre M. Walpole peut être traitée avec indulgence. Après tout, les gaîtés de M. Disraeli ont été plus amusantes que venimeuses ; elles révèlent un des traits de cette forte et originale individualité, avec tous les agrémens du talent, un grand empire sur soi-même et une énergie invincible de résolution. Lord Palmerston et M. Disraeli sont les deux figures les plus curieuses du parlement anglais. Le parti tory n’abandonnera pas le chef à qui il a dû sa réorganisation et ses progrès. Il va sans dire que le fond de la question a disparu dans cette bizarre escarmouche. Les Anglais ont horreur dans leurs chambres de ce qu’ils appellent la discussion d’une question abstraite. La motion de M. Stansfeld, n’étant plus soutenue par la perspective de l’amendement de M. Walpole, avait l’impardonnable tort de n’être plus qu’une question abstraite. Voilà donc lord Palmerston dans le triomphe d’un vote de confiance que l’opposition ne lui a pas disputé, et, suivant le mot de M. Bright, dictateur pour quelques mois. Cependant la question des armemens et des économies n’est pas enterrée à jamais. Il faudra que dans le prochain budget lord Palmerston s’exécute : sinon, il a affaire à des adversaires opiniâtres ; MM. Disraeli, Bright et Cobden ne sont pas hommes à quitter la partie pour une défaite ; tandis que M. Disraeli entamait la question, il y a plusieurs semaines, dans le parlement, M. Cobden la soulevait dans la presse avec sa brochure fortement élaborée, les Trois Paniques, que M. Xavier Raymond, maître lui-même en ces questions d’armemens, vient de traduire au grand profit du public français. La coalition à laquelle les tories n’étaient pas encore préparés l’autre soir est toujours possible dans l’avenir. M. Bright, M. Cobden ont fait en ce sens des pas significatifs. Dans la curieuse séance du 3 juin, l’un s’était déclaré prêt à voter pour la motion « judicieuse » de M. Walpole ; l’autre avait rappelé qu’il s’était bien trouvé, dans la question des lois céréales, d’être demeuré neutre entre les whigs et les tories, et d’avoir accepté de ceux-ci le libre échange : c’était dire que les économies avec un ministère tory lui paraissaient préférables aux armemens avec un cabinet libéral.

Publié au milieu de ce grand débat des armemens internationaux, le cinquième volume des mémoires de M. Guizot semble arriver dans son atmosphère naturelle. Les événemens qu’il raconte, ceux que la question d’Orient