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n’étant pas soutenue par l’opposition, serait rejetée ; mais il était probable qu’après cette épreuve les radicaux et les libéraux extrêmes se rallieraient à la résolution de M. Walpole, qui, soutenue par les tories, réunirait une majorité importante. Les tories auraient beau déclarer que leur intention n’était pas de renverser le cabinet, un grand coup moral n’en aurait pas moins été porté au gouvernement de lord Palmerston sur une question de confiance. L’adroit vétéran, avec une merveilleuse présence d’esprit, sut prendre son parti sur-le-champ. des l’ouverture de la séance, il déclara que, n’étant plus seulement en présence de la motion de M. Stansfeld, trouvant devant lui une résolution de l’opposition, l’affaire changeait de face : il ne s’agissait plus d’une question de rédaction, d’une question de substantifs et d’adjectifs ; c’était la question de confiance qui était posée. Dès lors le ministère priait les auteurs des amendemens de vouloir bien renoncer à leur droit de priorité, et de laisser la discussion s’engager sur l’amendement ministériel, c’est-à-dire sur la question de cabinet. Si la majorité n’accédait pas à cette demande, le ministère aviserait. C’était annoncer avec transparence la dissolution de la chambre. Cette fière déclaration jeta la confusion parmi les tories. Effaré, hésitant, M. Walpole balbutia que l’intention de lord Derby et de ses amis n’était point de renverser le ministère, et il avoua timidement que lord Palmerston le mettait dans un cruel embarras. Ce fut alors parmi les adversaires du cabinet une scène de confusion. Il était évident que la façon dont M. Walpole battait en retraite contrariait les desseins de M. Disraeli. Cela devint plus manifeste encore quand, après lord Palmerston, le chef de l’opposition prit la parole. Ce personnage extraordinaire répara au moins par des merveilles d’éloquence, d’esprit et de drôleries cette grande déroute politique. C’est l’hommage que sont forcés de lui rendre ses adversaires, et ils sont nombreux et peu tendres : encore assurent-ils que la lecture ne saurait donner une idée de la verve de ce discours, et qu’il faut l’avoir entendu. Il n’y a personne comme M. Disraeli pour faire contre mauvaise fortune bon cœur. Les situations désespérées sont celles où il se surpasse. Comme ces généraux qui n’ont jamais plus de lucidité que dans la mêlée, c’est dans les momens de désappointement et de confusion où d’autres s’abattraient que jouent tous les ressorts de son talent. Il devait être l’autre soir en une de ces veines qu’il a décrites dans un de ses anciens romans en se dépeignant lui-même, où le lyrisme de l’ironie s’allume en lui, où l’ivresse du fou rire lui monte au cerveau, où tout prend dans son imagination des grimaces comiques, où il se moque à ventre déboutonné de lui-même et des autres. Après un début très ferme, très sérieux un peu philosophique, où il a expliqué par des raisons élevées les véritables causes de la grandeur de l’Angleterre, il s’est mis en gaîté ; il a joué des longs chiffres du budget avec une prestesse de jongleur, il a déchiré avec l’entrain le plus amusant, et en charbonnant de droite et de gauche toute sorte de caricatures, la motion de M. Stansfeld, les amende-