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écoles, y a vu plusieurs centaines de lazzaroni apprenant à lire. De bonne foi, n’est-elle pas forte, la révolution qui décide les lazzaroni à déchiffrer des abécédaires ?

Parlons de nous. La session de notre corps législatif dure depuis cinq mois. Cette session a eu cela de bizarre, que pour le public elle a eu tout l’air de vacances politiques indéfiniment prolongées. Depuis deux ou trois jours, nous sommes en possession des rapports de la commission du budget. Le 16 va commencer le travail public de la chambre, et la session finissant le 27, il durera dix jours. Siéger cinq mois pour donner dix jours de discussion publique aux vraies affaires du pays ! car, nous le demandons, à quoi sert et que devient la rhétorique des débats de l’adresse ? Ce rapprochement seul est la critique suffisante du système. On nous dira que si nous ne savons combien de centaines de députés ont pu pendant ces cinq mois mener à l’aise la vie de Paris, cela n’a point empêché la commission du budget de poursuivre une tâche utile. À Dieu ne plaise que nous contestions les mérites de la commission du budget ! Cette commission n’a point épargné sa peine : conférences avec les commissaires du conseil d’état, explications avec les ministres sans portefeuille, réception des délégués des grands intérêts qu’affectait le budget, longues délibérations, rédaction de rapports, etc., son temps a été admirablement rempli. Les membres de la commission ont donc accompli un prodigieux travail ; mais en vérité est-ce donc l’idéal du gouvernement représentatif que dix-huit députés travaillant pour donner des loisirs à deux ou trois cents autres, que ce travail d’enquête, de discussion, de délibération, qui devrait éclairer la chambre tout entière et instruire le pays de ses affaires, soit enfermé dans le mystère d’un bureau ? Si c’est là du représentatif, il faut convenir alors que c’est du représentatif à deux degrés, et encore du représentatif à huis clos. Tous les bons esprits sont frappés des inconvéniens de cette façon d’agir. Nous nous adressons volontiers à M. de Morny, non pas seulement comme président, mais comme leader de la chambre, pour obtenir le redressement de cet abus. Il serait digne du noble adversaire des discours écrits d’aviser à une meilleure expédition de la besogne parlementaire, et d’empêcher la chambre de se subtiliser à ce point dans ces absorbantes commissions, dont l’œuvre silencieuse aboutit à des rapports qui ne sont après tout que des discours écrits. Qu’on y prenne garde au surplus : l’effacement de la chambre réagit sur le gouvernement tout entier. Comptant sur latente gestation des commissions, le pouvoir ne donne pas aux mesures qui appartiennent à son initiative la maturité, la décision, le fini qu’elles devraient avoir en abordant le contrôle législatif ; les projets de loi sont mal digérés, incomplets, et le conseil d’état est loin la plupart du temps de les améliorer. L’émulation généreuse, l’effort et la volonté virile de bien faire deviennent plus rares de jour en jour ; une commune indolence envahit tout.

Jamais commission du budget n’avait eu plus que cette année à trancher