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demandé l’insertion d’une phrase destinée à la France. Ces évêques eussent voulu que la France et son gouvernement fussent remerciés de l’appui que nous donnons au pouvoir temporel par notre occupation de Rome. Leur avis n’a pas été partagé. Un témoignage de gratitude et de courtoisie a été refusé à la France par la presque unanimité des évêques.

Cette adresse est un acte grave et profondément regrettable. Les principes sur lesquels elle se fonde dans la revendication du pouvoir temporel sont en contradiction avec les notions les plus élémentaires de la justice politique. C’est toujours la même vieille thèse : le pouvoir temporel étant nécessaire à l’indépendance de l’église catholique, les populations romaines doivent être éternellement sacrifiées à cette prétendue convenance de l’organisation de l’église et être dépouillées à perpétuité de leur autonomie. C’est l’adage : il faut qu’un seul souffre pour le bien de tous ; c’est la doctrine de la souveraineté du but. Ces principes, cette doctrine sont repoussés par la conscience humaine, par la morale, par l’esprit même du christianisme. Le corps des évêques, en se les appropriant avec une opiniâtreté désespérée, met donc l’organisation catholique en contradiction avec un principe de justice émané pour ainsi dire de l’essence du christianisme, et que l’esprit moderne s’applique par de persévérans efforts à faire entrer dans le droit politique. Un tel conflit entre la politique de l’épiscopat catholique et les idées de justice qui se sont emparées des intelligences les plus hautes de notre temps ne peut qu’accroître le trouble des consciences au détriment du catholicisme lui-même. Conçoit-on en effet un contresens plus pernicieux que de violer au nom du catholicisme une notion d’équité véritablement chrétienne, et, à la poursuite d’un avantage temporel frappé de caducité et dépouillé d’efficacité, d’asseoir le pontificat suprême sur la clé de voûte des usurpations détestées du despotisme ? Au point de vue moral le plus général et le plus élevé, une telle conduite est une erreur qu’on ne saurait assez déplorer. Au point de vue politique le plus immédiat, l’aveuglement que trahirait l’adresse épiscopale, si elle est ce que l’on dit, ne serait pas moins malheureux. Tous ceux qui connaissent l’état réel des esprits en Italie et à Rome, tous ceux qui ont suivi depuis trois ans la marche des idées et des événemens dans la péninsule, savent que, pour ramener la paix entre le peuple italien et le saint-siège, le moyen le plus naturel et le plus sûr était de les laisser en présence l’un de l’autre et de ne point s’interposer entre eux. Livrées à elles-mêmes, la papauté et l’Italie se seraient comprises et entendues. Les tendances du clergé italien sont un symptôme de ce qui était possible dans cette voie. Il y a eu des momens où la cour de Rome a laissé voir que, si elle eût été livrée à ses inspirations naturelles, elle n’eût point laissé s’accomplir entre elle et l’Italie un divorce irréparable. Si la cour de Rome a promptement réprimé ces velléités de conciliation, si elle s’est raidie dans la résistance, c’est toujours à la suite d’encouragemens malencontreux, d’excitations fatales, qui lui sont