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saient d’hommes d’élite, mirent lestement leurs sacs à terre, puis, faisant avec rapidité un à-droite et un à-gauche, gravirent la montagne au pas de course. Une ardente émulation s’établit alors entre ces files séparées de soldats, destinées à opérer leur jonction sur un même point au milieu de l’ennemi. Herwig commandait les voltigeurs; les grenadiers étaient dirigés par Serpier. Ces deux bandes guerrières, tout en courant, s’envoyaient de gais défis; l’entrain de cet assaut fut tel que les zéphyrs, placés entre leurs auxiliaires, reprirent soudain toute leur verve. — Ils attaquent les flancs, leur cria Bautzen; mais c’est nous qui allons prendre la bête par les cornes.

Or il advint que ces paroles furent prononcées assez haut pour parvenir aux oreilles d’Herwig. Herwig d’ordinaire pratiquait dans toute sa rigueur la religion du devoir, mais ne se livrait jamais, ni en actions ni en paroles, à ces témérités où certaine race d’hommes trouve le plaisir des combats. Il se conduisit cette fois-là comme aurait pu le faire un jeune sous-lieutenant arrivé au régiment de la veille et fêtant sa première affaire. — Mon vieux Bautzen, s’écria-t-il, ce ne seront pas vos zéphyrs qui prendront, comme vous le dites, la bête par les cornes; mes voltigeurs arriveront avant eux. Nous allons jouer du jarret avant de jouer de la baïonnette.

Et aussitôt il s’écarta de la direction dans laquelle il marchait à la tête de sa troupe pour se porter sur le front de l’ennemi dont il venait de menacer le flanc. Cette manœuvre était presque une action coupable, car elle introduisait un changement fâcheux dans l’ordre, à la fois prudent et vigoureux, d’attaque qui avait été adopté par le colonel de Sennemont. Serpier, qui vit de loin ce mouvement, poussa une exclamation de colère et de surprise. — A qui diable, s’écria-t-il, en a donc aujourd’hui ce bon Herwig? Le voilà qui, pour faire des folies de jeune homme, se met à bouleverser tous nos plans !

Quant à Bautzen, il était en proie à une véritable fureur, et l’on vit un spectacle qui aurait eu quelque chose de grotesque, s’il n’avait pas été héroïque. Une véritable course, semblable à celle que les sculpteurs de la Grèce représentaient sur leurs bas-reliefs, avait lieu entre le capitaine de zéphyrs et le capitaine de la légion étrangère. Tous deux, malgré leurs cheveux grisonnans et leurs ventres indociles, qu’avaient peine à contenir les plis de leur ceinture africaine, s’élançaient dans l’espace avec une rapidité digne de l’Atalante antique. Un moment ils furent sur la même ligne, puis la fortune se décida pour Herwig; une plante de montagne avait embarrassé les pieds de son rival. Les voltigeurs se pressèrent derrière leur chef, et ce fut la légion étrangère qui eut l’honneur de porter les premiers coups aux Kabyles.