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faut attribuer les confréries d’archers et tous les jeux de force ou d’adresse qui florissent depuis les temps les plus anciens sur le sol de l’Angleterre, comme si les habitans avaient voulu défier par l’énergie morale et par l’usage violent des membres les influences délétères d’un ciel humide ?

Le système d’éducation s’est entièrement calqué sur ces conditions de la race et du pays. À Eton, à Westminster, à Harrow, à Rugby, à Winchester, et dans toutes les grandes écoles anglaises, on s’est surtout appliqué à mettre les fonctions de l’âme en harmonie avec les fonctions du corps. Nos voisins témoignent une estime médiocre pour ces embryons de la science ou de la philosophie chez lesquels le développement précoce du cerveau a fait en quelque sorte avorter le reste de l’organisation. Ce qu’ils aiment dans la jeunesse, c’est un juste équilibre entre les exercices de l’esprit et les exercices physiques, peut-être même inclineraient-ils en faveur des adolescens qui témoignent une sorte de ferveur pour ce qu’on ose appeler la religion musculaire (muscular religion). — N’est-ce point, ajoutent-ils, faire injure au Créateur que d’apprécier et de cultiver seulement une moitié de notre nature ?

Une nouvelle méthode s’est même introduite depuis quelque temps dans certaines écoles publiques où se rendent les fils de la classe moyenne et de la classe ouvrière. Les élèves ne consacrent à l’étude qu’une moitié de la journée, tandis que l’autre moitié est entièrement employée en jeux et en exercices gymnastiques. Si j’en crois les très curieux rapports rédigés par les partisans de ce système[1], les écoliers qui ne passent que quelques heures dans les classes avancent plus vite et ont l’esprit plus alerte que ceux qui pâlissent toute la journée sur les livres. Ils prennent en outre des aptitudes physiques dont les Anglais, avant tout sévères économistes, ont cherché à préciser les avantages. Ils ont calculé que les forces produites par ce système de diversion équivalait pour le travail à un accroissement d’un cinquième de la population britannique. Quintupler la valeur des bras sans augmenter le nombre des bouches, quel profit net ! On a reconnu en outre, dans les boutiques et les magasins, qu’un employé à qui on laissait certaines heures de loisir pour se livrer aux récréations et aux exercices du corps montrait ensuite plus d’énergie morale et faisait deux fois dans le même temps l’ouvrage d’un autre. Est-ce tout ? Non, les Anglais attribuent les succès de leurs hommes d’état, de leurs généraux, de leurs voyageurs, à l’habitude qu’ils ont prise de très bonne

  1. Ces rapports ont été publiés en 1861 avec l’autorisation du gouvernement dans la collection des volumes parlementaires, à la suite d’une enquête sur l’état de l’éducation dans la Grande-Bretagne ; l’auteur est M. Edwin Chadwich.