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étrangère. Il avait ce képi rouge, coiffure leste et dégagée qui par sa forme inclinée semble crier : En avant! cette tunique du sombre bleu consacré par les victoires de nos premières armées populaires, et enfin ce pantalon garance dont nos dernières guerres ont fait un glorieux et redoutable surnom de nos soldats. « Voici les pantalons rouges! » disaient les Autrichiens dans cette belle et encore récente campagne d’Italie. Zabori portait cette tenue avec fierté, il avait surtout des regards complaisans pour le sabre qui pendait à ses côtés, un sabre droit à poignée d’acier, l’arme à la mode dans tous les corps de l’Afrique. Seulement il attendait avec impatience l’instant où ce sabre verrait le jour, où avec un air de noble insouciance il essuierait tranquillement, à la fin d’un combat, le sang qui en aurait terni la lame; ce moment désiré allait venir.

En ce temps-là, Blidah, où l’on va paisiblement maintenant d’Alger en quelques heures par une route aussi sûre et plus gaie que celle de Saint-Germain ou de Versailles, était le but incertain d’excursions difficiles et périlleuses. C’était un poste où s’enfermaient avec une résolution désespérée de petites garnisons que l’on ravitaillait péniblement. La garnison de Blidah était alors formée par deux bataillons de guerre de la légion, une division de spahis et une demi-batterie. Il s’agissait de diriger sur ce point des munitions et d’en faire partir tout un personnel de blessés et de malades qui nuisaient aux opérations de guerre. On organisa donc à Alger un convoi qui devait être formé d’un détachement de cavalerie et de deux compagnies d’infanterie : l’une composée de ces soldats si connus sous le nom de zéphyrs, c’est-à-dire appartenant aux bataillons d’Afrique, l’autre tirée de la légion. Cette dernière compagnie devait être commandée par Serpier, et Laërte en faisait partie.

Serpier, malgré sa jeunesse, se trouvait avoir le commandement de la colonne. Le capitaine Hermann, dit Bautzen, du bataillon d’Afrique, était infiniment plus âgé que lui, car il avait passé quatorze ans dans le grade de sergent, était resté sous-lieutenant dix ans, et enfin avait conquis ses épaulettes de capitaine par le droit de l’ancienneté; mais la dernière promotion de Bautzen datait à peine de quelques mois, et Serpier avait déjà plusieurs années de grade. Quant au détachement de cavalerie, il était commandé par un lieutenant. On se mit en route avant le jour; on désirait faire sur-le-champ la plus forte étape, pour aller coucher dans un bivac bien choisi, à quelque distance de Blidah. J’ai dit que la campagne d’Alger était en ce temps-là fort mal sûre; cependant, depuis quelques mois, des convois peu nombreux l’avaient sillonnée sans être obligés de livrer aucun combat. On affirmait qu’Abd-el-Kader était occupé loin du centre de nos possessions, et l’attitude des tribus qui nous environnaient rendait cette assertion vraisemblable, car dès