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avait en lui un homme d’esprit. Il s’accusa donc de n’avoir pas su peut-être rendre attrayant à sa femme le chemin où il désirait l’entraîner, il employa toutes les ressources d’une intelligence fine et exercée pour conquérir celle qu’il tenait des lois divines et humaines, mais que lui refusaient ces lois secrètes et puissantes sans lesquelles rien n’est consommé dans les cœurs. Ses efforts furent vains; la fille du diplomate les fit échouer tour à tour par cette étrange et implacable réserve dont elle ne devait jamais se départir.

Après une série d’humiliations conjugales, Laërte en vint naturellement à se rappeler les triomphes qui autrefois marquaient chacun de ses jours, et cependant cette vie à laquelle il avait dit de sincères adieux lui inspirait plutôt de la répugnance que de l’attraction dans les conditions nouvelles où il se trouvait. Ennemi déclaré de tous les mensonges, même de ceux sur lesquels reposent les fondemens de la société polie, il prétendait que les hommes mariés, dûment convaincus de galanterie, le remplissaient d’une véritable horreur. Suivant lui, ils avaient quelque chose du prêtre en révolte; il affirmait qu’il leur voyait des soutanes. En dépit toutefois de ces sentimens qu’il avait exprimés souvent avec une piquante énergie, il rentra dans son ancienne carrière sous l’austère livrée du mariage. Il s’excusa en songeant à Byron, ce prince attendrissant du mal, ce disciple bien-aimé de l’ange déchu, qui a certainement dormi sur le sein de son maître, et qui prête à toutes les choses défendues une grâce funeste.

Il reprit pourtant son ancienne vie avec de profondes modifications. Il ne voulut point recommencer le cours des orageuses et élégantes galanteries qui remplissaient autrefois tous ses instans. Il envisageait avec une humeur chagrine toutes les femmes de sa classe. Les cruelles déceptions de son foyer lui faisaient croire que pour trouver, sinon le bonheur, du moins un peu de plaisir et d’oubli. il ne pourrait jamais assez sortir de sa condition. Ce fut ainsi qu’il aborda un genre de femmes dont jusqu’alors d’habitude il s’était tenu éloigné. Les hommes commencent d’ordinaire en amour par des idoles grossières, et n’offrent qu’en dernier lieu leur encens aux divinités délicates. Dérogeant à cette loi commune, Laërte mit une sorte de vanité paradoxale à se déclarer le chevalier de maintes beautés célèbres et diffamées dont la gloire lui était autrefois indifférente ou inconnue.

À cette époque, Inès de Lara transportait sur le théâtre impérial de Vienne les plus audacieuses danses de l’Espagne. Le génie germanique, échauffé par les poèmes ardens qui sortaient chaque soir de ses pieds andalous, inventait sur le compte d’Inès toute sorte d’invraisemblables légendes. On racontait d’elle mille traits opposés de violence et de dignité, de prodigalité et de tendresse; jamais