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dans les événemens et dans les personnages de ce livre. Les noms d’hommes, de lieux, de batailles, seraient l’objet de vaines recherches dans les annales de nos guerres africaines. L’invention a présidé même aux plus minutieux détails des parties les plus positives, et cependant je crois pouvoir sans présomption garantir la vérité absolue de l’ensemble. Dégager le vrai des fictions, c’est là le grand œuvre des romanciers, et ce grand œuvre. Dieu merci, n’a rien de réprouvé ni de chimérique. Les plus humbles peuvent le mènera bonne fin quand leur travail se nourrit d’une foi patiente et sincère.


I.

J’ai pour la Hongrie une prédilection particulière. C’est la patrie des housards; or, malgré tous les fades et frivoles éloges qui leur ont été prodigués, les housards sont d’utiles et vaillans cavaliers qui ont joué un rôle plein d’éclat dans les guerres modernes. Ce n’est pas uniquement du reste ma tendresse pour la cavalerie légère qui me rend chère cette terre de Hongrie. Je m’imagine à tort ou à raison que c’est le plus poétique pays du monde. Là se promènent ces êtres mystérieux qui inspiraient à mon enfance des épouvantes pleines de charme, ces vampires aimés de Byron et de notre bon Nodier, qui, un jour de fête, par une belle matinée, vont se mêler d’un air à la fois doucereux et sinistre aux chœurs des jeunes villageoises. On prétend enfin que sur la terre hongroise croît à travers toute sorte d’obstacles la plante enchantée du siècle, je veux parler de la liberté. Je ne saurais oublier que la recherche de cette plante est la grande empreinse de notre temps, et quoique pour ma part je prenne plus de plaisir à nombre d’autres aventures, je ne puis m’empêcher parfois d’applaudir aux efforts de ceux qu’un conteur allemand appelait les chevaliers du Saint-Esprit, en se proclamant lui-même un de ces chevaliers.

Eh bien! ce que je préfère dans toute la Hongrie, c’est le château de Zabori, non point tel que je l’ai vu, mais tel qu’on me l’a décrit. Située au milieu d’une grande forêt, cette demeure, dont on ne connaît pas l’origine, ne rappelle l’art d’aucun temps; elle appartient à l’architecture des contes de fées. C’est là que naquit le comte Laërte Zabori, dernier rejeton d’une race dont le nom était autrefois prononcé avec autant d’admiration que de terreur. Les Zabori étaient des hommes au cœur droit et aux mains sanglantes, vers qui se tournaient volontiers les opprimés et qui promenaient la justice en croupe sur leurs chevaux. Le fond de leur âme toutefois n’était aucun de ces vastes sentimens d’humanité qui créent les grands hommes des cités terrestres ou divines; c’était un amour effréné des combats. Au temps où tout se décidait sur les champs de ba-