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LES CAPRICES
D’UN RÉGULIER[1]

Les réguliers d’Abd-el-Kader étaient une sorte de réserve composée de guerriers que l’émir avait réussi à placer sous les lois de la discipline européenne. Cette troupe, dont se souvient encore plus d’un officier de notre armée d’Afrique, a eu de glorieux faits d’armes, et son histoire, liée à celle de notre conquête, pourrait assurément offrir un vif intérêt; mais ce n’est pas une histoire ni même un roman historique que l’on trouvera dans ces pages. J’ai toujours fait profession de respect pour le roman proprement dit; je puise dans ce respect le désir de conserver toute sa pureté à un genre qui, suivant moi, ne peut supporter aucune alliance. Je crois le roman plus vrai que l’histoire, mais à la condition de laisser de côté dans la vie réelle les faits sujets à tant d’interprétations mensongères, éternellement tributaires de la mauvaise foi, de la sottise et de l’oubli, pour ne s’attacher qu’aux sentimens où résident la vraie force comme la vraie grandeur de l’homme.

J’avertis donc les lecteurs qui sont poussés par d’honnêtes instincts à un ordre de vérifications consciencieuses que tout est fictif

  1. M. Paul de Molènes, qu’un affreux malheur vient de nous enlever, avait terminé quelques semaines avant sa mort le récit qu’on va lire. Nous ne pouvons le publier sans nous rappeler qu’il y a plus de vingt ans, au moment où il commençait à écrire dans la Revue, M. de Molènes portait dans ses tentatives de critique et de romancier cette brillante et impétueuse ardeur qui annonce une âme militaire. L’entrée du jeune écrivain dans la carrière des armes en 1848 marqua en effet dans son talent une transformation dont une étude sur la Garde mobile (1er novembre 1849) fut le premier témoignage. L’influence de la vie des camps n’avait depuis cessé de lui être salutaire, et c’est aux souvenirs du soldat qu’on aimait à le voir demander ses inspirations; M. Saint-René Taillandier le lui disait ici même (15 juillet 1857), et M. de Molènes s’est peut-être souvenu de ce conseil en écrivant les Caprices d’un Régulier.